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Henry War
17 janvier 2022

Deux solidarités

La solidarité chrétienne est bâtie d’indulgence : celui à qui le Chrétien daigne accorder sa sympathie lui inspire en vérité une pitié versée par condescendance plutôt que décernée par estime, c’est un être inférieur et dissemblable, en dépit de ce que son donateur arbore, une créature que seul un élémentaire devoir engage à venir en aide en raison de sa faiblesse, une personne qui consiste pour l’essentiel en un problème difficilement soluble et qu’une façon d’aumône doit atténuer plutôt que résoudre. Le Chrétien, malgré ce qu’il feint, ne se reconnaît pas en celui dont il est solidaire, il force son imagination à se plier à la circonstance d’une souffrance pour s’en attribuer une, et il parvient tant bien que mal à entrer en tel esprit et en telle situation en assumant provisoirement la culpabilité et en y gagnant le sentiment d’être bon.

Le Chrétien s’abaisse avec compassion.

La solidarité juive est fondée d’exigence : celui à qui le Juif prête sa sympathie induit véritablement un sentiment de mérite décidé par jugement plutôt que transmis par tradition, c’est un égal et un semblable, un individu qu’une saine reconnaissance pousse à favoriser en fonction de sa valeur, une identité à qui il ne tient que de poursuivre ses talents pour accéder bientôt au succès et au bien général. Le Juif s’identifie bel et bien à celui dont il est solidaire, il éprouve sincèrement pour lui un intérêt noble, et comme il arrange ses faveurs pour qu’elles aient la qualité utile d’un redressement, il n’a pas besoin de se purger pour se sentir l’illusion d’une vertu, il exerce son action avec effet en se manifestant dans une cordialité qu’il voue à des êtres qu’il apprécie comme issus d’une même et digne humanité.

Le Juif soutient avec distinction.

Bien des chrétiens ont prétendu que le Juif par essence n’était pas français parce que la tradition française, qui est une tradition chrétienne, ordonne qu’on soit solidaire de n’importe qui, y compris et surtout des plus méprisables, tandis qu’un Juif a davantage de prévention en faveur de qui lui ressemble, et qu’il sélectionne ces sujets de solidarité parce qu’il sait qu’un autre Juif est le plus souvent respectable et rend généralement un effort pour exceller dans son domaine, tandis qu’un Français non-juif se contente en général de faire ce qu’on lui demande à dessein d’obtenir plus de confort, ce confort qu’il croit constituer, consciemment ou non, le sens voire l’objectif de l’humanité. C’est ainsi que, dans l’histoire, on a considéré que le Juif, parce qu’il aide d’autres Juifs, n’appartenait à aucune nation, n’étant guère solidaire à égalité de tous les peuples au milieu desquels il a coutume ou est contraint d’exister – d’où toutes ces idées absurdes et malveillantes de « parasites ».

Or, je dis, moi, que la solidarité la plus juste est juive, parce qu’elle n’oblige nullement à exhausser artificiellement celui à qui l’on rend service ; on ne se sent pas quelque largesse hautaine à ne faire que maintenir et entretenir les défauts de qui l’on prétend venir en aide. Par elle, on acquiert le sentiment, bientôt omniprésent comme ligne de conduite, qu’il faut tâcher à la respectabilité et à l’excellence pour susciter l’assistance de la communauté, au lieu que le Français chrétien, et probablement que le Français tout court, ne tient qu’à se montrer le plus misérable de façon à provoquer la commisération de ceux qui lui sont supérieurs et en état de le soutenir. C’est ainsi que la solidarité juive élève, tandis que la solidarité chrétienne tend à abaisser ou à maintenir. Au surplus, il est plus raisonnable de penser que c’est par ses efforts qu’un être doit encourager le secours des hommes plutôt que par son abandon ou l’étalage de ses faiblesses et infirmités, quelles que soient les vicissitudes où provisoirement la fortune le situe : c’est que cet être a déjà au moins un peu démontré sa capacité et son apport personnels, en quoi il mérite un soutien – mais je n’ignore pas qu’un Chrétien qualifie une telle sélection d’inhumaine, comme tout ce qui implique le renfort de l’idée noble et du vrai travail.

On aurait pourtant tort de penser que le Juif dirige opiniâtrement et exclusivement sa solidarité sur ses coreligionnaires : il recherche activement toutes sortes de témoignages de grandeur où sa sympathie curieuse pourrait aller, mais il ne faut pas lui reprocher d’avoir du mal à en trouver, car c’est presque toujours en vain qu’on quête dans un environnement ce qui n’y existe guère, et il faut bien admettre en général que la société française est dépourvue de talents, d’œuvres et d’honneurs – on se contente ici de sa misère quotidienne que j’appellerais « routine ». Si chez nous chacun avait la force individuelle de vouloir se montrer digne de son rang humain ou de sa race d’homme au lieu de se laisser aller à tous les paresses et penchants faciles – inactions et irréflexions – par lesquels on reconnaît justement un Contemporain, c'est de meilleure grâce, je pense, qu’on dispenserait alentour de la solidarité après la considération des mérites d’un peuple ; or, ici où l’on n’insiste que pour obtenir toujours plus d’avantages indus, la solidarité signale une sorte d’aveuglement consistant à estimer coûte que coûte que rien ne distingue les hommes et que le seul fait de vivre justifie qu’on y verse de « l’amour », en sorte que, sur ce fonds homogène et mièvre, nul ne se fait le devoir par son œuvre et par sa direction propre d’indiquer en quoi il est à la hauteur des hommes et mérite la reconnaissance. Et réciproquement, comme on n’accorde plus sa solidarité qu’en tout bénéfice-du-doute et à tout le monde c’est-à-dire sans examen ni respect particulier, bientôt, croyant en l’égalité des valeurs, on ne juge plus personne, on ne songe qu’à comparer jalousement sa situation à celle de ses compatriotes qui, pesant automatiquement tant que quiconque dans la balance humaine pour un tel esprit faussé de conditionnements, ne sauraient vivre à plus d’aisance que soi sans soulever le cœur d’injustice. Le Juif, je trouve, a plus de cohérence et d’esprit pratique : il ne se fait pas une fierté de distribuer son argent et ses grâces en se lamentant et en priant pour ce que les hommes devraient être, mais il favorise justement les hommes de bien par ce qu’il donne, et, exauçant ainsi par son service l’individu supérieur, c’est encore une fois activement qu’il le réalise.

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