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Henry War
15 janvier 2022

Ceux qui ont besoin de se faire vacciner

Ils disent qu’ils ont résisté autant que possible, jusqu’aux bouts de leurs dernières forces, et cette prétention les valorise et les héroïse presque. Seulement, là, ils sont réduits à l’extrémité de se faire vacciner, parce que, vraiment, ce n’est plus possible, ils ont un besoin ultime qui ne saurait être assuré sans l’obtention du pass sanitaire ou vaccinal.

Quel besoin ?

Ils veulent partir en vacances.

Oui, mais ils « travaillent dur », vous comprenez, il leur faut « au moins cela », c’est là leur « seul plaisir », et pourquoi tant d’autres se réjouiraient et prendraient du bon temps tandis qu’ils ne seraient pas loin de la « dépression » ?! Et puis, peut-on « imposer ça à sa famille » : c’est d’ailleurs surtout « pour les enfants » qu’ils s’y résolvent, qu’ils s’y résignent. Sans doute, si la petite n’a pas son quota de soleil ou de plage cette année, elle s’étiolera et sombrera dans le ressentiment de ses parents, conservant à jamais rancune de cette intolérable égoïsme de son enfance, pauvre et innocente victime de nos indignités !

Il faut que notre société du loisir ait poussé furieusement loin le sentiment de la nécessité du jeu pour faire admettre comme besoin un simple désir. Le droit aux congés payés a supplanté dans les mentalités le droit de s’alimenter et d’avoir un toit pour dormir. Si les gens ne mourront pas de ne pas se rendre aux sports d’hiver ou au Pérou, ils sont devenus incapables de résister à l’appel du superflu, et ils en sont à considérer l’accessoire comme indispensable, parce qu’ils sont trop tentés par l’Envie. Il ne s’agit pas de percevoir un salaire qui leur serait confisqué ou de se rendre dans un lieu commercial pour faire ses provisions, non, il s’agit de se distraire sous une autre latitude comme ils y sont accoutumés. Vraiment, c’est prouver que les habitudes dans notre société, même dérisoires, sont si imposantes qu’elles se constituent à l’imagination outrée comme des « manques » ; c’est prouver aussi que notre époque se caractérise par une morbide maladie de la volonté. Si contre vos convictions éthiques vous cédez à la menace d’un pouvoir qui n’a fait que conditionner votre accès à du divertissement, vous aurez tout de même du mal à vous faire regarder par des esprits sérieux et conséquents comme un révolutionnaire. Songez que c’est une torture assez légère à laquelle vous pliez ; il y a pire, et vos sanglots ne changeront rien à ce fait.

« Oui mais, me retorquera-t-on, puisque j’ai fait du voyage et du repos un essentiel de ma vie, que ferais-tu, toi, si l’on te confisquait par exemple tes livres et de quoi écrire ? — Ce que je ferais ? C’est un bon exemple. Voyons, laisse-moi réfléchir ! Car il est bien vrai que ces activités me sont nécessaires et que je me sens presque autant le besoin d’écrire que de manger. — Alors ! Tu vois bien que tu me donnes raison ! ­— Attends ! attends un peu ! laisse-moi finir ! Je ressens, il est vrai, ces pratiques comme des nécessités de mon existence : que ferais-je donc si on me les supprimait ? Je les éprouve comme des besoins, par conséquent je réagirais à leur suppression au même titre que si l’on m’empêchait de me nourrir. — Comment donc ? Tu te vaccinerais bien ? — Non. Je suis presque sûr que je tâcherais d’acheter un fusil, et exactement comme si c’était ma dernière lutte, c’est-à-dire au même titre que si je n’avais plus qu’à mourir de faim, j’essaierais d’abattre mon oppresseur. — Tu mens ! Jamais tu n’agirais ainsi ! — C’est toi qui mens : on n’a jamais connu un homme dans le besoin qui fût volontaire pour répudier sa liberté et sa santé contre des sucres et des chaleurs. D’ailleurs, tu ne manques de rien et tu ne te portes pas mal, à ce que je vois : c’est seulement encore un souhait que tu ne peux assouvir. Tu troques à bon marché une pensée d’individu contre un confort de foule, rien de plus. Tu n’es pas contraint dans ton ordinaire, tu n’es entravé que pendant tes vacances : où donc se justifie le « besoin » d’un être qui prétend dépérir uniquement aux périodes de ses loisirs, faute d’accès à des avantages ? Moi, au moins, c’est concrètement que mon entourage distingue les moments où je ne peux écrire : ils me rencontrent dans la situation d’un manque, et je ne doute pas de l’alternative à cette peine que j’éprouve alors si je la savais devoir se prolonger sous l’action d’un tyran, et c’est : le remède ou la mort comme remède – en quoi figure la perspective d’un véritable besoin.

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