Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
5 mars 2022

Revue Points&Contrepoints, n°2, 2021

Points et Contrepoints 2

C’est assurément une bonne nature que ce M. Scotto d’Apollonia qui non seulement sut ne pas s’offusquer de ma critique mitigée de son premier numéro de Points&Contrepoints, mais qui, au surplus, m’expédia le second à ses frais pour nouveau commentaire et me promit, après avoir lu une petite anthologie de mes poèmes, une publication de plusieurs d’entre eux dans sa prochaine édition.

Je n’organiserai pas longuement – parce qu’on soutiendrait que c’est par reconnaissance – son éloge, mais il faut reconnaître que pour moi qui n’écris plus à l’attention d’auteurs vivants, n’espérant plus d’eux que des réactions décevantes de susceptibilité infatuées de prétextes, ce fut une surprise propre à lutter contre une tendance qui prendrait chez moi, à force de mauvaises expériences, ce que j’appellerais le « maléfice du doute » à savoir la pragmatique et défavorable appréhension contre ceux qui prétendent parler avec compétence et ouverture de ce dont ils ne dissertent qu’en poses incorrigibles et superficielles, soit à peu près tout le monde. Je n’irai pas dire que c’est avec plaisir ou gratitude que M. Scotto d’Apollonia reçut mon commentaire, et je n’affirme pas l’argument de vanité qu’on me prêtera selon lequel l’homme reconnut en moi quelqu’un d’irréfutable ; je dis seulement qu’il parvint, ce qui est rare, à la fois à comprendre qu’un travail appliqué sur une revue, fût-il tiède, constitue déjà une publicité qui vaut infiniment mieux qu’un silence improductif (même si à peu près personne ne me lit), et à respecter le credo qu’il s’était fixé en son manifeste et son titre en reconnaissant la valeur possible, après le point poétique réalisé dans son recueil, d’un « contrepoint » propre à discuter un appareil littéraire selon un angle d’analyse et un esprit de controverse qui, depuis assez longtemps, semblent avoir disparu des sphères critiques contemporaines, redonnant vie, comme on me le fit remarquer, à un ton polémique qui signale avec réjouissance enfin le retour à une « question artistique » et donc l’existence même de l’art.

Je dois renouveler ici l’essentiel de mes remarques du premier numéro : 

1° La méthode est excellente, il n’en faut point changer. La variété des textes est ce qui peut le plus pencher un lecteur sur une telle revue par l’espérance d’une découverte inattendue. Même, la direction, curieuse et intelligente, qu’elle propose induit une attitude de recherche et de réflexion qui constitue ce qui manque le plus au lectorat actuel du divertissement à qui il ne suffit que de présenter joliment un texte pour le lui faire acheter par milliers.

2° Les travaux de commentaires, à l’exception d’un seul qu’une pédanterie manifeste rend volontairement inappréciable, sont dignes d’intérêt et, cette fois, tous en rapport direct avec la poésie. J’y ai découvert surtout Joyce Mansour et Charles Guérin : le second me paraît solide et sérieux, moins poseur et plus clair ; j’irai y voir, sans doute, quand j’aurai achevé les ouvrages que j’ai déjà de côté.

3° Parmi les auteurs contemporains colligés dans la revue, aucun, à mon avis, ne mérite l’appellation de poète. C’est particulièrement sur ce point que je dois m’expliquer.

Je pourrais, comme dans ma critique précédente, recenser au hasard les alambications déponctuées et presque insensées qu’on y trouve sous couvert de surréalisme ou sous l’excuse de « l’intarissable verve intérieure » : je ne m’y résoudrai pas, c’est inutile, on croirait que je fais exprès de choisir le plus incompréhensible et hermétique du recueil, ou bien, au contraire, on voudrait m’asséner qu’en fait tout ceci est absolument diaphane et que c’est mon tort d’être fermé, idiot et singulièrement pragmatique pour un tel genre. Mais je veux, moi, définir le plus simplement du monde, et plus simplement que n’importe quel commentaire, ce qui caractérise l’essence de la poésie, à l’opposé de tout ce que la plupart des poètes eux-mêmes, pour se donner des allures romantiques ou mystérieuses, ont proposé en sibyllines et emphatiques tournures.

La poésie est la forme littéraire quintessenciée, en ce qu’elle densifie le langage avec une extrême et excellente rigueur afin de transmettre l’idée d’une pertinence nouvelle ou d’une sensibilité originale.

Cette définition, qui semble peut-être encore assez floue, contient pourtant en substance toutes les objections que j’adresse aux poèmes de ce recueil.

Beaucoup épanchent au lieu de contenir. On y devine plutôt des essais, des tentatives, au lieu d’une parfaite maîtrise lexicale et syntaxique : le poète, souvent, donne l’impression de proposer des pourquoi-pas plutôt que d’exposer sa certitude ; il y a là-dedans, pour un critique méthodique, quelque chose de brouillon, d’une fausse assurance, où l’écrivain devine un effort d’amateur, une absence de direction nette. Pas de ponctuation, rarement des vers isométriques et bien « propres », des rimes de moindre qualité et parfois négligées, rien d’incontestablement admirable sur la forme à la différence d’un Porfilio que je citais antérieurement, un vocabulaire ou des images abandonnés, automatiques, aventurés, laissés à l’interprétation et à l’appréciation du lecteur qui en fera ce qu’il veut sans qu’on puisse vraiment soutenir quoi que ce soit de très argumenté en s’appuyant sur le texte lui-même : une forme jamais nettement raffinée.

Quant au fond, souvent on ne sait pas ce qu’on devrait comprendre, il n’y a pas au juste une volonté perceptible de transmission, on ignore aussi où est la nouveauté, la pertinence, vers quelle réflexion le poète invite à s’interroger, on ne devine pas en quoi il y aurait une sensibilité originale sinon en quelque vague variation de la sensibilité commune ; en réalité, on n’entend point l’idée précise, d’illumination ou de labeur, ayant justifié l’œuvre écrite, sinon sans doute – et c’est malheureux de désœuvrement – l’habitude, à telle heure, là, d’écrire et de publier des poèmes. Je n’ai jamais quant à moi écrit un poème sans le sentiment d’une nécessité géniale et d’un fardeau d’organisation : je n’en ai pas écrit depuis des mois, parce que je refuse d’en faire un exercice ; je préfère d’abord m’insuffler une collecte intérieure plutôt que transformer cela en manie d’épate. Ici, dans la revue, je n’ai jamais trouvé que, pour ce qu’il y aurait d’essentiel en chaque pièce, cela méritait un poème, et peut-être ni même un texte : c’est d’ailleurs peu ramassé en général, l’auteur, au lieu de densifier sa matière jusqu’au noyau même de l’idée « en fusion », la distend comme pour faire de la copie à tant ; cette tendance est un épuisement pour le lecteur qui ne sait ni où l’on part ni où l’on veut en venir, et qui espère perpétuellement qu’au moins, à la page prochaine, il pourra se nourrir de quelque chose d’un petit peu substantiel et assimilable.

Je remarque à présent depuis le premier numéro – mais ce n’est peut-être pas encore une tendance représentative – que les femmes, elles, font plutôt du poème en prose, voire du vers-vraiment-très-libre, où le lecteur s’ennuie d’une fiction ultra-autocentrée, incompréhensible et censément évocatoire, multipliant à l’envi des allusions de sexualité (c’est, à ce que je crains, pour constituer une séduction consciente ou inavouable au lectorat mâle, un appât, comme cela se distingue sur les réseaux sociaux où la poétesse aguiche souvent à son intouchable manière, davantage pour se sentir célébrée que pour la « pratique réelle »), tandis que les hommes, eux, préfèrent des vers plus classiques, plus clairs et sur des thèmes plus triviaux qui font virils, mais dont la régularité est mal tenue, où il est presque impossible de discerner une performance de style et un sujet qui vaille la peine ; c’est : j’aime les chiens, j’apprécie mon chez-moi, je me ressource à la campagne, le monde est un peu gris, etc.

Je n’exclus qu’un poème de ma liste négative, et c’est « Ouro », page 88, de Van Strien, dont pourtant certains vers me sont obscurs ou me paraissent inutiles, dont la fin n’est pas d’un génie surprenant, et qui traite assez mal le « e » souvent laid de ses césures, mais qui a le mérite d’exprimer quelque chose d’un peu hardi, sans doute trop emprunté à Baudelaire : n’importe, c’est bien imaginé tout de même, cela vaut, même en comparaison avec ses textes environnants d’anecdote, des entraînements qui ne serviraient que pour un cahier personnel, qu’il ne devrait pas proposer à la publication tant ils sont faciles et infondés.

Je crois que je demanderai à M. Scotto d’Apollonia s’il permet, pour sa revue même, que je l’interviewe : ce directeur m’a donné l’impression d’un homme qui a plus à dire qu’il ne peut l’exprimer spontanément si on ne le sollicite, et comme j’ai de l’intérêt pour son entreprise, je voudrais vérifier, dans une forme pour moi inhabituelle, si l’on peut réaliser, sur le sujet de la poésie même, une discussion exempte de toutes ces formules fates et imprécises où l’on feint de faire de ce genre une confuse sophistication pour de prétentieux hallucinés d’arrière-monde.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité