Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
17 avril 2022

M. Macron contre Mme Le Pen : concrétisation et illustration du choix moral ordinaire

Je n’ai encore jamais été pris en défaut sur l’analyse du Contemporain. C’est même bien souvent « malgré moi », je veux dire contre mes espoirs et mes vœux, contre mon optimisme et mes passions, contre la possibilité que je nourris toujours d’une enfin agréable surprise, presque contre mon désir d’avoir eu tort dans mon réalisme si cru et en quelque sorte désespérant, que s’est réalisée chacune de mes scientifiques prévisions relevant de sa mentalité et de ses actions. Par exemple, j’aurais voulu qu’un autre candidat l’emportât au premier tour de la présidentielle, cela m’aurait plu de n’avoir pas encore tout compris, mais dans mon article « Principes du vote contemporain » j’avais décrit exactement les processus électoraux tels qu’ils se sont déroulés, si bien qu’on y lit presque littéralement le nom des candidats qui ont reçu en majorité le suffrage des Français.

Le second tour est devinable de la même manière, et je ne me vanterais même pas, cette fois-ci, de le pouvoir affirmer, tant c’est facile en l’occurrence, même pour l’analyste amateur. Autant le dire tout de suite et abréger ce faux suspense : on aura beau espérer encore en vain un étonnement français, quelque imprévu amusant sujet à réflexions additionnelles et correctives, M. Macron va l’emporter, et il gagnera sans risque avec une avance confortable. C’est que son duel avec Mme Le Pen est une transposition concrète et vraiment très simple de la situation et des méthodes où le Contemporain prend une décision ordinaire. Il suffit de dérouler sa pratique normale des cas de conscience, et l’on trouvera encore que ce vote illustre parfaitement et sans exceptionnalité la mentalité qu’il applique à ses décisions habituelles.

En somme, tout est habitude chez le Contemporain : c’est sans doute principalement ce que doit retenir le psychopathologue de notre époque. Cette science – ma science – ne nécessite en aucun cas – c’est même un peu triste à dire – l’hypothèse de circonstances susceptibles de réaliser de la complexité ou de l’inattendu : bien au contraire ou elle devient inexacte. Sa finesse réside dans la compréhension minutieuse de l’assemblage d’un très petit nombre de paramètres. Sa réflexion la plus fine confine à l’infiniment petit et éloigné dans le temps, et non pas tant à des observations présentes et assez évidentes qui consistent en effets répétés, statistiques et sûrs comme des lois physiques, qu’à des explications généalogiques que le sujet ignore ; autrement dit, le psychopathologue du Contemporain mène sa plus dure enquête non sur des réactions récurrentes qu’un compatriote de bonne foi, s’il existait encore, saurait indiquer et lui-même prédire, mais sur des raisons causales dont l’analyste cherchera les origines sans aucun soutien extérieur.

Pour revenir au sujet de l’élection présidentielle, comme le Contemporain ne connaît environ rien en politique, bien qu’il s’en défende parce qu’il a parfois regardé le JT, et puisqu’il refuse par paresse de s’y intéresser vraiment c’est-à-dire en lisant des essais et en sélectionnant des documents, il s’agit évidemment pour lui d’indiquer sa position d’ordre moral, évidemment sans rien savoir d’éthique ou de philosophie, sans voir lu un essai ou un traité depuis des années. Il est nécessaire pour lui et pour sa propre estime de se figurer qu’avec son insuffisance mentale, qu’il nomme flatteusement sa « raison libre » ou son fameux « bon sens », il doit déjà être en mesure de trancher justement. Il voit deux silhouettes qui gesticulent et qui parlent, il ne dispose pas des moyens de mesurer leur vérité ni leur sincérité, et comme il est puéril, il a besoin de se les dépeindre sous la bannière de catégories distinctes, opposables, facilement interprétables et manichéennes. Il n’est certainement pas question pour lui de se pencher sur des programmes : trop compliqué, même s’il fait mine de trouver d’autres raisons à ses insuffisances ; dans tous les cas, il ne visionnera pas d’autres images des candidats que celles qu’on lui donne à regarder sur les principaux médias.

En vérité, même s’il feint de délibérer, sa décision est déjà prise. Elle est prise depuis la proclamation des noms – le débat du second tour n’a jamais fait de différence dans les intentions réelles, quoi qu’en disent les Français qui affectent toujours d’être circonspects et capables de changements –, parce que les noms sont revêtus de certaines connotations où s’opposent déjà des idées caricaturales du bien et du mal. Il faut bien comprendre que le Contemporain n’a pas de détermination propre, pas d’intégrité résolue, pas de raisonnement : on n’a presque jamais vu l’homme d’aujourd’hui argumenter en-dehors des proverbes et des préjugés, et toute raison imprévue qu’on lui fait le laisse toujours démuni et de mauvaise foi. Or, il n’y a nullement lieu de croire qu’il réfléchira davantage sur cette affaire qui ne le touche qu’indirectement, je veux dire que son choix, perdu dans une masse énorme de scrutins, n’aura qu’un effet très relatif, négligeable et même tout à fait insignifiant notamment sur son sentiment de responsabilité. Par conséquent, il peut tout à fait choisir n’importe quoi, son scrupule sera faible, ce pourquoi il n’a pas du tout l’intention d’y accorder beaucoup d’attention et d’effort. L’analyse qu’on doit donc porter sur son vote ne consistera donc pas à considérer ce qui le motive intellectuellement – il ne dispose à dire vrai d’aucun critère distancié de jugement qui lui permettrait de vérifier qui a emporté une controverse, hormis ses idées préconçues – mais bien plutôt ce qui le conditionne.

C’est alors qu’il faut synthétiser comme toute délibération morale, pour tout problème du quotidien, est résolue presque immédiatement en l’esprit du Contemporain. Les paramètres à prendre en compte, comme je l’ai déjà dit, sont en nombre limité, c’est l’avantage des esprits grossiers qu’ils ne se soucient pas de composer avec beaucoup de critères. En vérité, la difficulté se présente presque toujours à lui avec sa pré-solution morale qu’il n’a qu’à confirmer ; il sait d’avance ce qu’il est supposé faire dans la circonstance où il se trouve, et il n’a aucun avantage à prendre le risque de se distinguer des remèdes universels qu’on lui a appris, et pour une raison essentielle, c’est qu’il devine déjà que la conformité à l’opinion majoritaire lui laissera toujours l’impression d’avoir bien agi, d’avoir agi comme-il-faut. Il n’a pas tant l’envie d’avoir raison absolument sur un tel sujet, que d’avoir le sentiment qu’il ne s’est pas trompé, c’est pourquoi il recourt peu à l’initiative et préfère de loin la solidarité. C’est toujours un précipice pour lui que d’être seul.

C’est pour cela, premièrement, qu’on constate que le Contemporain suit toujours en tout problème l’opinion la plus répandue.

Or, M. Macron est clairement favori dans les sondages.

Cette tendance résout d’ailleurs avantageusement la satisfaction qu’il espère tirer d’un scrutin : le scrutin est un jeu pour lui bien davantage qu’une responsabilité, je veux dire qu’en une société du divertissement il n’existe à peu près rien qui échappe à cet instinct d’admettre tout événement comme une distraction pouvant conduire au plaisir. Je l’ai déjà écrit, le vote se présente à lui comme un pari, au sens de pari sportif : il sera trop content de découvrir qu’il a voté pour le bon candidat, pour le candidat élu, il l’anticipe et il maximise ses chances d’obtenir ce plaisir en portant son choix sur le favori.

Le Contemporain n’a non plus pas de mémoire : sa morale personnelle, embarrassée de catégories très cloisonnées, ne s’embarrasse en revanche pas de données à court terme ; il a pu ainsi oublier les importunités qu’il a subies sous ce mandat, on ne les lui rappelle qu’en voyant sa perplexité et en lui trouvant des soupçons, il ne sait plus vraiment l’opinion qui l’animait hier et où il maugréait des injures. Tout souci passé est chez lui comme s’il n’avait pas existé : c’est une caractéristique plutôt mauvaise que bonne que le Contemporain soit presque absolument sans rancune, parce qu’elle signifie surtout qu’il ne veut pas se souvenir (je connais un homme, et même plus intelligent que la moyenne, qui note tous les affronts qu’il a reçus sur un carnet : sans mentir, il y indique la teneur de l’insulte ou de la calomnie dont il estime avoir été victime, avec la date et peut-être l’heure, au point que si le carnet venait à disparaître, on peut penser qu’il serait démuni quant à savoir à qui il peut encore se fier ou de qui il doit se défier.)

Les torts de M. Macron, au cours d’un mandat dont on est en peine de savoir ce qui s’y est construit, ne lui seront donc pas reprochés.

Enfin, les fameuses catégories pré-instruites qui inondent premièrement le « jugement » du Contemporain répètent en boucle une « valeur », notamment que Mme Le Pen est vraiment, de par son nom, une personne pour qui il ne peut moralement pas voter. Peu importe que cette candidate ne promeuve rien au juste de particulière radical, toutes les appositions d’« extrême » qu’on fit depuis toujours à son parti et à ses positions même les plus modérées suggèrent qu’il ne faut pas voter pour elle, établissant un « mal » pratique et d’autant plus commode qu’il évite, justement, toute délibération fatigante. Dans le doute, c’est sûr, il est mal de voter pour elle : ce préjugé est facilitateur de conscience. Il ne sera pas question de vouloir examiner ses opinions ou tester sa compétence, on s’en tiendra à une formule d’autorité : tout sauf Mme Le Pen. C’est à peu près ainsi qu’on lui a inculqué depuis son enfance, et le Contemporain est sans conteste demeuré un enfant. Que voulez-vous de plus ? Son esprit, d’une fébrilité sans borne parce qu’il ignore mal, parce qu’il ne peut ignorer tout à fait, qu’il n’a aucune idée ferme sur la moindre chose, doit bien se raccrocher à une idée, et cette partialité irréfléchie est à peu près tout ce dont il dispose, puisqu’il refuse d’aller lire un programme, puisqu’il trouve que son environnement est majoritaire dans cet avis, puisqu’il ne se souvient pas de M. Macron. Du reste, aussi bien est-il dispensé d’aller réfléchir par lui-même, est-il résolu de l’opinion des gens, est-il oublieux des réalités d’une présidence médiocre, et est-il assuré de l’immoralité de Mme Le Pen grâce aux médias dont la vision caricaturale et les présentations également partiales lui simplifient considérablement la tâche.

Et voilà comment c’est démontré. L’abstention même n’y changera rien : on en parlerait en vain. Il n’existe nulle faille à aucun maillon de cette réflexion.

Enfin : comme si l’on avait jamais vu qu’un Français pouvait être surprenant !

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité