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Henry War
22 mai 2022

Correctif d'importance sur la répartition des coûts du livre

Diagramme coûts livres

On a l’habitude d’indiquer et de consulter ainsi la répartition des coûts du livre (chiffres du Ministère de la culture), présentée généralement sous la forme d’un diagramme circulaire :

- 36% : point de vente

- 21% : édition

- 15% : fabrication

- 12% : distribution

- 8% : diffusion

- 8% : auteur

(J’ignore où le Ministère place la TVA à 5,5%.)

Jusques récemment, j’admettais cette (dis)proportion comme un fait utile à montrer avec exactitude et suggestivité le scandaleux manque de rémunération des auteurs par rapport aux autres « acteurs » du livre.

Or, je me suis aperçu que ces chiffres, sans être faux, sont néanmoins biaisés d’une telle façon qu’il ne peut être qu’évident qu’ils proviennent des éditeurs et qu’ils sont établis à dessein de favoriser leur image de solidarité et de relative équité.

La subtilité ici consiste à distinguer quel acteur a directement charge de telles dépenses, ce que ces statistiques grossières ne font pas. Ce diagramme typique indique les coûts généraux, sélectionnés, comme on le verra, parmi une liste limitée et partiale, pour donner une impression qui est en vérité beaucoup plus captieuse que sincère.

Prenons un exemple simple, pour commencer. On conviendra que le libraire paye le plus souvent un loyer, et que ce loyer absorbe nécessairement une certaine quantité du prix du livre : je veux dire que 36% induit un grand nombre de charges, dont ce loyer, ainsi que le salaire des employés, une multitplicité de taxes, etc. Pourquoi indiquer que « le point de vente » perçoit 36% du prix du livre de la même manière que s’il s’agissait d’un bénéfice ? Pourquoi ne pas plutôt indiquer dans ce diagramme que le libraire perçoit – mettons – en moyenne 10% du prix du livre, et y placer une « ligne » nouvelle pour signaler que son loyer lui en coûte 8 autres, ces salariés tant, etc. ?

On me répondra qu’à cet effort trop minutieux les postes de dépenses seraient à peu près infinis, que le diagramme est fait pour être lisible, et qu’il a seulement pour but de rendre compte en gros des proportions de ce qu’on paye quand on achète son livre environ 20 euros.

Je veux bien, moi, ne pas compter à part ce que le libraire paye parmi ce qu’il perçoit ; c’est bien d’accord, même si ce n’est pas juste pour lui puisqu’à la fin il touche peut-être, sur le prix du livre, moins que le propriétaire même de sa boutique – mais pourquoi pas. Seulement, il faut alors être équitable : pourquoi compter à part, sur une ligne différenciée, ce que l’éditeur, lui, paye ?

Car enfin, qui paye l’imprimeur ? C’est l’éditeur ! Donc, tout franchement, dans le prix que vous payez un livre, en vérité vous payez à l’éditeur 21+15%, soit 36%, et c’est lui, certes, qui en distribuera 15 ensuite au fabricant. Ce revient, il me semble, à considérer que l’éditeur a des frais imprescriptibles qu’on indique dans le diagramme – la fabrication –, mais c’est bien au même titre que le libraire qui a aussi des frais imprescriptibles – le pas-de-porte.

On voit déjà que, dans cette liste, les deux – libraire et éditeur – ne sont pas traités de la même façon. Dans un cas, on inclut tacitement les coûts dans la ligne, dans l’autre on les exclut explicitement en dressant une ligne à part.

Et ça continue ainsi, mais dans le sens contraire ; lisez-moi bien :

Il faut bien entendre, premièrement, que le libraire, lui, ne touche rien d’autre sur le prix du livre que ces 36% : c’est très important. Il n’a tout simplement pas d’autre source de revenu que le produit des livres qu’il vend.

Il faut ensuite reporter tous les postes de dépenses sur les « lignes » qui incombent à des intervenants déjà cités dans la liste : on a déjà vu qu’en vérité l’éditeur touche au moins 36% du prix du livre, même s’il ne s’agit bien sûr pas de bénéfices (et pas davantage pour le libraire).

Qui paye la distribution, autrement dit le transporteur ?

C’est principalement le libraire. On l’ignore souvent, mais il prend à sa charge les frais de port : ce n’est pas l’éditeur qui en fait cadeau. Et, comme je l’ai indiqué ailleurs, si le libraire doit rendre un livre invendu, il en paye aussi les frais de port pour le retourner à l’éditeur.

Je ne doute pas que l’éditeur ait aussi à payer des frais de livraison, ne serait-ce que pour obtenir les livres depuis l’imprimeur vers quelque lieu de stockage, encore aurais-je à dire que ces frais sont « de gros » et coûtent infiniment moins cher par livre que la commande au détail du libraire. Mais ce n’est pas ce qui est capital à comprendre. Ce qui est capital, c’est que ce coût, si on le supprime des statistiques, est à déduire des recettes du libraire (puisque le libraire ne touche rien que les 36%), tandis qu’il est à ajouter à celles de l’éditeur (puisque l’éditeur, lui, le retire de sa part dans le diagramme). Ainsi, si l’on admet en gros que le libraire, sur 12% de distribution, en prend 8 en charge, que 4 reviennent aux éditeurs, il faut compter que, sur le prix du livre, le point de vente touche 36-8, soit 28% du prix du livre, tandis que l’éditeur est en réalité à 36+4, soit 40% qu’il sépare ensuite arbitrairement en une ligne supplémentaire.

Et ce n’est pas tout.

La diffusion est vraiment le poste de mauvaise foi du diagramme. La diffusion désigne l’ensemble des opérations commerciales mises en œuvre par l’éditeur dans les différents points de vente : c’est, pour le dire simplement, la tournée du représentant et les frais de promotion. Comment ne voit-on pas que c’est entièrement une charge de l’éditeur et une part intégrante de son métier ?! Est-ce donc qu’on compte à part les opérations marketings du libraire ? Personne n’oblige à ce poste de dépense, il doit être tout à fait compris dans la part éditeur ; donc 40+8 : 48%. Et même, il me semble que ce poste inclut les frais du site Internet permettant la gestion des commandes, frais assumés par le libraire payant son abonnement au site et qui devrait donc, une fois encore, déduire ce coût de ses recettes !

(Il faut, du reste, admettre que, probablement, dans le diagramme du Ministère, c’est au moment de la vente que se situe la TVA à 5,5%, de sorte qu’il faut encore la retirer du libraire.)

Voyez en somme où cela aboutit, selon un diagramme plus juste qui supprime toutes les lignes incombant aux acteurs principaux :

- 36% : point de vente (tous frais inclus, distribution notamment, et loyer, salaires, taxes, abonnement au site Dilicom, etc.)

- 8% : auteur (qui a la décence de ne pas dire ses déplacements, ordinateur, papèterie, ni ce que lui coûte en « diffusion » sa présence à différents salons, etc.)

- 56% : éditeur (frais d’impression inclus au même titre que les différentes charges du libraire – s’il tient à séparer la ligne, on en fera autant pour le libraire –, plus une faible partie de la distribution, et sans compter la diffusion bien entendu attendu que c’est tout juste pourquoi on le paye, que c’est exactement ni plus ni moins son travail d’éditeur.)

Je veux ainsi dire que, sur le prix que le client paye son livre (admettons 20€), si l’on retire bien honnêtement tous les postes intermédiaires, c’est dans l’ordre généalogique du livre : 1,60€ qui revient au créateur, 11€ au sélectionneur-fabricant-promoteur (l’éditeur, en somme !) et 7,20€ au vendeur.

Mais qu’était-ce donc alors que ces 21% qu’on prétendait pour la part de l’éditeur : on y excluait à peu près tout ce qu’il doit payer, fabrication, livraison, et jusqu’à la publicité ! on y excluait presque tout son travail ! il n’y avait plus qu’à créer une ligne intitulée : « Sélection des manuscrits » et « Impôt sur les grosses sociétés » ! Je veux dire, comment définit-on un éditeur si on lui retire la fabrication et la promotion du livre, c’est-à-dire tout ce qui, en-dehors de l’écriture, rend le livre possible ?

Où l’on voit bien par qui ce diagramme a été ainsi dressé, et dans quel but ! 

21% qu’était-ce ? Je réponds : c’était à peu de choses près, si je ne m’abuse, la part de bénéfice que fait l’éditeur sur le prix du livre. Et il faut reconnaître enfin que ce bénéfice est probablement au moins dix fois plus élevé par livre que les autres intervenants, et non seulement chacun d’eux, mais tous les autres mis ensemble !

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