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Henry War
13 août 2022

L'artiste et la publicité

On ne devrait pas demander à un artiste de faire la promotion de son œuvre : tout figure déjà dans l’œuvre, à quoi bon lui demander au surplus de s’exposer ? Toute publicité qu’il eût cru nécessaire de faire et qu’il n’y a pas placée serait de sa part une lacune littéraire, un manque d’esprit et une faute d’effet, en ce que tout ce que l’auteur estime utile à promouvoir son œuvre, il l’y a déjà mis s’il est bon, et tout ce qu’il n’y a pas mis altère sa volonté. Et comment ne voit-on pas que l’art est un mépris ? Quel visage fera un créateur supérieur pour s’adapter aux foules, ou même aux amateurs sincères que le nombre présentera toujours à lui de manière indistincte, sinon un mauvais visage ou un visage hypocrite ? C’est sans parler du temps perdu à faire de la montre au lieu de faire son travail en écrivant penché sur un bureau. J’abhorre particulièrement l’acteur qu’on oblige à vanter un film dont il n’a choisi ni le scénario ni la réalisation, comme si c’était quelque chose à quoi il avait contribué plus que comme un outil ou comme s’il avait vocation à faire dans la publicité : ce n’est pas non plus son métier. Tout ce qu’un artiste peut vouloir dire à son contemporain figure dans son œuvre, mais ce n’est pas à lui de flatter le goût des badauds ou de vendre des goodies. Il y a une dépossession là-dedans : l’auteur se met à disposition du peuple, il s’oublie en tant qu’artiste, il se prostitue, il lui faut dans un sens ou un autre devenir commun. Je hais toute espèce de publicité qu’on me contraint de faire si je ne puis y adjoindre au moins une forme capable de refléter quelque dimension artistique intrinsèque. J’aime assez par exemple dédicacer des livres en vers, si j’ai le temps, bien que la répétition mécanique m’en exaspère. Mais c’est toujours une insolente contradiction d’obliger l’artiste à se banaliser ; j’y suis mauvais, je produis souvent un résultat tout inverse, j’ai de la gaucherie à m’adapter au naturel des gens et ils s’en aperçoivent, ils devinent que quelque chose en moi n’est pas « normal ». Je souris trop ou pas assez, alors je deviens semblable à ce Richard Wright foncièrement inapte à répondre convenablement aux Blancs, à se conformer à leurs attentes, par excès étouffant de profondeur : ils n’espéraient, eux, qu’attitudes et civilités. Chaque fois qu’on propose ma présence ou mon image comme vitrine, le procédé échoue ou fonctionne mal, et nul ne comprend au juste ce qui a raté ; je n’ai pourtant pas l’air emprunté, je ne me sens pas toujours gêné ou ridicule, mais manifestement les gens ne s’attendent pas à ce qu’ils découvrent, je suis au moins « étrange », cela les perturbe un peu – qui sait si ça ne les humilie point, si je ne parais pas d’une involontaire condescendance ? Je produis en la majorité de mon entourage cette impression d’imprévisibilité qui met mal à l’aise : voir n’importe quelle photographie de Jean-René Huguenin pour s’en faire une idée. C’est au point que je m’efforce d’intervenir le moins possible dans les communications de mes promoteurs, parce que je m’inquiète qu’en une seule phrase je puisse soulever un inconfort, un soupçon de vague effroi, comme à l’abord de quelque handicapé ou d’un malade contagieux. Si j’hésite à le faire, alors je ne le fais pas. Ainsi me tiens-je éloigné de toute espèce de dégoût que j’ai spécialement intérêt à ne pas produire ; c’est la différence que je réalise avec mon environnement ordinaire : où je n’ai aucun avantage à espérer de mon entourage, c’est-à-dire presque partout, je demeure moi ; où il faudrait que je fisse bonne impression et que ma présence fût agréable, je préfère m’éclipser si je puis.

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