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Henry War
21 septembre 2022

Les vraies couleurs de l'enfant

Nous ne savons rien de l’intellection des enfants, de leur appréhension du monde, de la mentalité modale, primordiale, paradigmatique, avec laquelle ils sélectionnent les informations nouvelles de leur environnement, les intériorisent, s’en stimulent, et les intègrent à leur presque-rien-su, à leur omniprésente incertitude, à leur mystère et leur incompréhensible, à leur néant de l’Inconçu où ne saurait graviter déjà des « données » ; nous n’en savons rien, et sommes loin d’avoir la sagacité de le comprendre, et même plus loin probablement que naguère : il suffit de mesurer comme perdure le mythe de la « crise d’adolescence » pour déceler comme toute la psychologie est devenue d’abord, au lieu d’un déplacement sincère et curieux des repères de soi vers autrui, une machination au service des adultes

– La notion de crise d’adolescence est un arrangement, un subterfuge, une mascarade, montée depuis la position de supériorité de l’adulte puisque c’est lui qui établit la loi du vrai, lui qui s’impose « législateur » et « curateur », lui qui s’estime le « Référent ». C’est parce qu’il se représente en être normal et plutôt sain, en indicateur des « bonnes conduites » et d’une « vie bien réglée », qu’il a construit la théorie selon laquelle l’adolescent, dès qu’il ne s’entend pas avec lui, diffère de ses pensées et s’oppose à ses injonctions, serait en situation de déséquilibre. Pour l’expliquer, il a instruit d’autorité une multiplicité de troubles hormonaux, émotionnels, relationnels et existentiels, sur le constat anodin d’un simple développement physique, comme s’il était nécessaire que des modifications anatomiques, dont nul scientifique au juste ne semble s’être aperçu qu’elles n’avaient pas cessé depuis la naissance et qu’elles se poursuivaient encore à maintes échelles après l’âge de seize ans et tout le reste de l’existence, s’accompagnassent de « difformités » dans les domaines psychiques et du comportement : mais quelle injustice et quel manque d’impartialité ! La vérité est plus simple : l’adolescent, intègre parce qu’il n’a pas fait l’expérience des consensus qu’il ressent et rejette comme des compromissions – il ne s’est pas fait une raison des conventions, et il acquiert une raison qui lui permet d’en questionner le sens et la justice –, ne supporte pas, et c’est logique, d’être commandé avec coercition par des plus idiots que lui. Comment mon hypothèse, élémentaire et à cause de cela contestée (comme s’il fallait que tout fût compliqué pour être exact, héritage de la psychanalyse qui s’est toujours plu à alambiquer pour prévenir toute possibilité de vérification et peut-être toute concurrence), se vérifie-t-elle ? Elle se vérifie en ce que l’adulte, passé cette fameuse « crise d’adolescence », ne tolère plus jamais de vivre sous la direction et parfois rien qu’en présence de ses parents, preuve que la « crise » n’a jamais cessé et ne se résout que par l’éloignement de l’autorité considérée comme illégitime, non par la terminaison de « l’âge critique » et d’on ne sait quel effet magique de l’acclimatation à quelques « corps et physiologie définitifs ». –

Le problème de la constitution de l’intelligence dans la prime enfance introduit, selon moi, une question centrale quant au processus de cognition – question d’une grave conséquence, comme je tâcherai de le montrer, sur la représentation de la formation mentale de l’adulte (je n’ai pas coutume de me poser des questions inutiles) –, qui consiste à interroger comment on organise en esprit les faits perçus d’une réalité à défaut de toute antériorité sûre, réglée, établie comme infaillible et vraie. D’où naissent donc, en somme, les premiers systèmes d’ordre et de hiérarchie dans la pensée ? Quand il ne s’y rencontre encore guère de structure, comment dirige-t-on ses regards ? À quoi fait-on attention ? Vers quoi notre cerveau « primitif » dirige-t-il nos sens ? Selon quelle logique alors les phénomènes vus se mémorisent-ils et se complètent-ils ? Suivant quelle sorte de gravitation, quelle polarisation, quelle sélection ? – car il faut bien qu’on observe quelque part en premier, et l’on ne peut pas tout retenir : l’intellection est forcément d’abord une intention. Or, la direction qu’on donne à ses regards et à ses égards dépend toujours de certaines habitudes déjà prises et qui déterminent des priorités accordées à l’observation. À quoi donc, à quel agencement de l’esprit embryonnaire, peuvent s’agglomérer des parcelles de constats sans même un lexique utile à y apporter une désignation, afin de les ériger comme des connaissances en forgeant les principes, même rudimentaires, d’une progressiveassimilation ? Enfin, comment cette succession si hasardeuse dont les origines et les combinaisons paraissent infinies, peut-elle aboutir, chez la personne contemporaine, à des résultats si peu différenciés ?

Voilà notablement l’épineux et troublant constat que je veux poser en axiome : tout ce que nous « découvrons » adultes, il me semble que nous le rattachons systématiquement à un connu ; aucune pensée, nulle image ne naît d’une « révélation » ou d’une « inspiration » surgie comme une exception contre ce dont nous avons déjà été une fois témoin et que nous avons précédemment incorporé ; il n’existe pas un phénomène qui se soit gravé en nous sans quelque rapport de logique ou de vraisemblance avec un ensemble préexistant ; la connaissance neuve, chez l’adulte, s’attacheet se fédère, de sorte qu’on ne saurait admettre qu’elle est entièrement distincte d’une conception mentale du plausible ou d’un horizon d’attente : c’est ce rapport de contiguïté qui construit par assemblages – confirmation ou distinction – l’impression, toujours augmentée, de réalité où nous baignons ; nous procédons par modifications successives d’un déjà-entendu-et-admis (qu’on me pardonne ce jargon) pour refonder ou rasseoir les nombreuses lois qui imprègnent notre conception de l’environnement et du monde ; nous « raffinons » sans cesse, pour le dire un peu grossièrement, les représentations que nous nous faisons de la vie, par rapprochements, analogies, différenciations cohérentes, de façon et sans doute dans le but que cette somme constitue une construction imbriquée, une sorte de machine en état de former et de signifier un tout stable, sans jamais intégrer tout à fait une information qui offrirait le caractère d’un inédit aberrant. C’est pourquoi, sans antécédent, sans expérience, je ne sais ce que nous pourrions faire d’un phénomène, comment il servirait de pensée, comment il pourrait, faute de s’adjoindre, réaliser une façon de réflexion, ni comment, à cause de cet empêchement, de cette impasse cognitive, on oserait seulement s’en souvenir. Qu’est-ce dont pour nous qu’une chose qui n’a ni terme pour le dire ni relation avec rien de connu ? rien, cette chose n’existe pas pour nous. Est-ce qu’elle est représentable par l’esprit ? a priori non, et il le faut bien cependant pour qu’un bébé, parti de rien, ne demeure pas idiot toute sa vie. N’empêche que ce processus est pour moi énigmatique et qu’il se situe au sein d’un rapport au monde presque sans lien avec le nôtre, fascinant et riche d’enseignement sur ce que nous avons perdu et acquis – ce que je vais tâcher d’expliquer dans la suite.

C’est même parce qu’il nous devient peu à peu nécessaire, indispensable, impensable autrement, au cours de l’existence, de disposer d’une somme de plus en plus énorme d’éléments de confirmation – c’est-à-dire de préjugés connexes applicables à chaque situation perçue, de préconceptions afférentes et explicatives à toute circonstance jugée, en contraste total avec le processus du jeune enfant qui ne dispose pas d’un contenu dont le dimensionnement permette d’englober par compréhension logique les nouveautés de son univers –, que nous devenons incapables, passé un certain âge et quelque quantité de « convictions » admises comme logiques et fondamentales – convictions qui ne sont que certitudes et croyances –, de révoquer en doute ce qu’on tient pour indubitable et qui s’intègre en nous à un certain ordre de vraisemblances : c’est ce qui rend le vieillissement si déplorable, cet enfermement dans un plus petit nombre de jugements rassurants et expédiés, et par exemple la mentalité des Boomers si incorrigibles, qui ne côtoient plus qu’une courte étendue de conceptions, et qui, de surcroît, tendent à restreindre ce champ à une poignée de dogmes simplistes au-delà desquels rien ne doit « avoir lieu ». Le temps de notre existence, apparaît-il de manière assez flagrante, réduit notre faculté générale à admettre du nouveau, à assumer de l’extérieur, à intérioriser du différent, et je ne prétends pas que la sénilité du cerveau y soit pour l’essentiel ni même pour beaucoup. Mais au moins deux processus, selon moi, conditionnent l’inexpugnable et quasi universelle stagnation de la pensée desséchante et réduite (je n’y ai pas trouvé d’exception, pour l’heure). D’abord, le sujet croit avoir absorbé telle quantité de données qu’il ne présume pas pouvoir se tromper de beaucoup, cette imposante masse de références étant « entrée » en lui et lui paraissant établir un système de cohérence sans exception : mais il ignore qu’à partir d’une certaine époque, ce qu’il a invité à s’établir en son esprit consiste précisément en ce qui ne contredisait rien de l’arrangement qui s’y trouvait, et il a plutôt oublié le reste, laissé au-dehors, qu’il ne l’a conçu comme un ensemble réfuté, il l’a, ce reste, d’emblée jugé malsain, et il n’a pas jugé opportun de le faire venir en son salon ni de l’examiner au seuil de sa maison – il lui a, presque aussitôt vu, « fermé la porte au nez ». L’autre processus contribuant à cet appauvrissement, c’est qu’à force d’aménager ainsi en lui-même un petit confort douillet et serein, le sujet se méfie de la perspective d’insérer dans son décor la moindre parure qui pourrait contredire quelque pièce de décoration voisine et qui risquerait de contaminer par progrès l’ambiance rangée, réglée et cohérente, du salon entier, et d’attenter ainsi à « l’harmonie » générale qu’il a mis si longtemps à aménager : il existe en tout homme une vigilance extrême à ne pas laisser perturber son gentil « ordre » intérieur.

Je n’écris pas ceci à dessein d’humilier encore ce pauvre Contemporain qui, n’ayant non seulement guère d’aptitude, mais pas même l’idée de ce qu’on pourrait nommer une aptitude, fait bien de son mieux tout de même, c’est-à-dire de son moins nul, pour se fabriquer tant bien que mal un échafaudage de vérités qui lui permet, à condition qu’il ne rencontre personne – je veux dire : que des gens comme lui – de s’estimer un être solide et plein de « bon sens » jamais contesté (la politesse en cela tient à présent lieu d’irréfragabilité : qui vous réfute aujourd’hui est toujours un peu « immoral » de s’aller, comme cela, attaquer à vos idées, que ce soit en privé ou en public ; ce n’est jamais un moment assez courtois, suffisamment tendre, et voilà toujours en définitive ce qui lui donne tort quel que soit le sujet et ses arguments) : non, je me trouverais lassant de répéter une nouvelle fois ce qui ne fait aucune difficulté à entendre et tombe sous tant d’évidence, et je n’ai nul plaisir à accabler l’imbécile moderne qui, de toute façon, ne me lisant pas, est incapable d’échapper à ses travers poisseux et paresseux. Ce qui m’intéresse là, c’est la façon mystérieuse et « innocente », proprement ingénue, dont se fonde et forme d’abord, avant la multiplicité des préconceptions installant les vérités de l’existence autant que ses préjugés, la conscience de la réalité, la sensation d’une normalité, le sentiment d’un ordinaire. D’où vient que l’enfant, qui trouve perpétuellement du neuf, dont le témoignage n’est qu’une incessante découverte, et qui ne peut qu’ignorer la probabilité d’un phénomène, commence à le reconnaître une règle plutôt qu’une exception ou qu’une étrangeté ? Je devine bien sûr que sa répétition, à plus forte raison que sa régularité et sa ponctualité, par exemple dans l’ordonnancement d’une journée, tend à l’établir comme un repère, que c’est cela que l’enfant vient à estimer un critère d’habitude, cela qui l’installe dans la réalité, ce n’est alors plus un événement isolé et étrange, certes, je l’entends bien, mais il faut bien entendre en retour que c’est au même titre que si l’on prenait coutume en sa présence d’égorger quelqu’un chaque jour à telle heure. Par cet exemple, je ne veux pas juste indiquer que la raison d’une action morale se situe principalement dans l’usage, dans sa régularité, qui n’est même pas alors une « acclimatation » (puisque l’enfant ne s’est pas « remis » du choc premier de l’égorgement, il n’a simplement jamais estimé ce rituel comme un choc) – la réflexion est pour moi depuis longtemps avérée qu’il n’y a pas, hors des us des sociétés dont on s’est accoutumé et imprégné, une seule action qu’on puisse qualifier bonne ou mauvaise –, mais que ce qu’on assume comme normal et qui entre en nos conceptions comme la base même, le socle, sur laquelle se constitue par assemblage toutes nos « valeurs », c’est-à-dire ce qui nous est essentiel comme fonds et comme support pour accueillir d’autres intellections, peut fort bien consister en des « horreurs » écartées par le traditions d’un autre lieu ou d’un autre temps. Si l’on est sincère et audacieux, impavide, véritablement philosophe, il faut y réfléchir non sous l’angle spontané et facile des us « monstrueux » de tant de cultures étrangères qu’on rapporte à nous, mais, au contraire, en termes de ce que nous avons toujours su ou cru savoir de la norme où nous avons grandi et que nous n’avons jamais interrogée, et qui pourrait, à d’autres, paraître une bizarrerie peut-être terrifiante dont, précisément, il ne faudrait jamais avoir eu l’habitude, comme se marier à une seule personne, désigner quelqu’un par son genre, travailler pour gagner de l’argent ou manger de la viande. Le code auquel nous sommes rompus et penchons n’est pas plus absolu que ceux que nous déplorons ailleurs, et je ne connais pas un être qui s’y soit résolu par choix plutôt que par abandon : c’est là l’arbitraire à l’origine de nos « inclinations », c’est l’univers de référence qui nous a adoptés auquel il fut facile et commun de s’adapter. Je ne le déplore même pas tout à fait, car l’esprit ne saurait dès le départ s’ériger sur rien ; je ne prétends pas qu’il y a lieu de se sentir complexé de quoi que ce soit y compris par rapport à d’autres sociétés ou civilisations : ce « code normal » institue un confort dont le vivant a besoin sans doute, même s’il s’agit d’une illusion, d’une fainéantise et d’une inertie ; mais il faut reconnaître que la norme en tous lieux est ce qui se présente en majorité. Cette réflexion ne présente pas encore pour moi la qualité d’une originalité ou d’un inédit qui seraient d’un certain mérite, et ce n’est pas là-dessus que je veux focaliser l’intérêt.

Mais voilà ce qui me paraît plus neuf : comme nous rapportons tout, pour réfléchir, à un relativement petit nombre d’usage pris pour normes, et que ce sont ces visions, intégrées en soi comme fondement dès qu’elles sont récurrentes et s’associent en l’entourage à une acceptation humaine, qui fédèrent l’intellection des expériences ultérieures, je m’interroge quel accès nous avons, après ces degrés initiaux, aux sensations de la nouveauté. Peut-on éprouver vraiment un émoi heuristique, autrement dit : existe-t-il, passé la tendre enfance, une émotion qui puisse se rapporter à l’impression pure d’une découverte ? N’a-t-on pas entièrement anéanti la possibilité d’un pareil sentiment en établissant le neuf sur la seule confirmation ou altération marginale du préexistant ? Autrement dit, n’est-il pas vrai qu’on a atrophié définitivement notre sens initial de la découverte ? Cela expliquerait qu’un adulte ne puisse ressentir son environnement avec l’ouverture mentale d’un enfant, et que notre contact au monde soit sans comparaison avec le sien, qu’il passe par quantité d’intermédiaires que l’enfant ne connaît pas, au point que je me figure, en l’extrême naïve curiosité absorbante de l’enfant, une piste extrêmement féconde de sensations réminiscentes à explorer pour réinstruire la réalité même. Certes, rien n’est nouveau pour nous, rien ne l’est vraiment de nature à induire l’impression d’une intacte et authentique découverte, puisque nous rattachons tout « extraordinaire » aux lois d’une étroite domesticité, puisque nous rabattons cet aperçu aux ressemblances et différences d’avec un ancien référent qui nous sert de pierre de touche ou d’étalon, puisqu’en somme nous n’acceptons nulle chose pour elle-même hors des règles où nous l’espérons, j’entends pour le fait de son existence et de ses attributs dans la réalité la plus objective et dépassionnée, la plus inutile et minérale, la plus autonome, et je serais même tenté d’écrire : dans la réalité même. Alors, c’est qu’un adulte n’a pas de rapport direct au réel : conclusion terrible. S’il faut admettre que ce qui se produit chez les obtus d’un certain âge commence aussitôt qu’on adhère à une moindre quantité de certitudes parce que commence en soi le travail « d’agencement des meubles » dont j’ai parlé et qui défend de déparer les ornements de son décor intérieur, on doit confesser logiquement qu’un blasement nous saisit tôt qui ne fait que s’accroître, un angle toujours plus fermé, une restriction de l’entrée des phénomènes dans notre conscience, et que nous déformons chacun d’eux pour le forcer à se positionner dans les catégories d’étagère que nous avons fixées ou que nous tâchons d’établir – ce qu’on constate aisément quand on discute de politique avec ceux qui ont pris l’habitude de répartir et discriminer les idées en « droite » et « gauche » ; mais cet exemple, trop caractérisé pour l’édification du lecteur, ne révèle pas encore qu’en n’importe quelle conversation s’érigent des défenses toutes semblables, que j’ai appelées ailleurs « Mur » et filtrant selon de nombreux prismes (politique, politesse, sociabilité, articulation, image, etc) toutes les informations reçues, constitutives de la « réalité » de l’énoncé, dont certaines, faute d’être acceptées en superficie, ne laisseront nulle trace à la mémoire du récipiendaire au point qu’il niera les avoir entendues ou lues et réfutera donc leur existence. C’est dire que ce qui n’est pas assorti, pour une personne, à son « intérieur » n’a pas pour elle de réalité ; or, en ces conditions, comment pourrait-il exister un vrai nouveau, un nouveau absolu, une nouveauté réelle qui ne soit pas juste la confirmation ou la réfutation relative d’un « fait » précédent imposant son analogie ? Et je demande : qu’a-t-on déjà remarqué de tout à fait neuf qui nous ait durablement investi ? rien que des variétés d’existants, ce me semble. Il n’est pas, à bien réfléchir, une seule chose qui nous soit apparue, c’est-à-dire qui, comme émanée de l’univers même sans que de nous elle procédât, sans qu’elle se matérialisât à nous hors de la forme et de l’ordre de notre volonté, nous ait entièrement étonné. Parce que rien de ce que l’adulte intériorise ne se distingue essentiellement de ce qu’il « sait » déjà, il se condamne à ne recevoir que des altérations de su, que des rapprochements de phénomènes, par conséquent il vit sans la sensation d’une émergence, et, par suite, en dehors d’une réalité séparée de lui-même, et en cela d’une réalité « véritable », pure, départie de ses propres attentes : c’est pourquoi le sentiment que nous tirons d’une soi-disant « nouveauté » n’est jamais d’aucune commune mesure avec l’effet du surgissement d’un impossible ou d’un ignoré – nous nierions par principe d’intégrité un tel surgissement. C’est ainsi qu’une réalité nouvelle nous est logiquement interdite d’accès. Or, c’est bien nécessairement cette réception qui immerge le jeune enfant : il ne sait rien ou presque, il ne connaît pas la règle de ce qu’il est supposé observer ni quelle conformité les définit et les rattache au normal, au naturel, au moral, il n’a pas encore formé maints critères de vérification de ce qu’il est censé rejeter ou recevoir, c’est alors que se présente à sa conscience quelque phénomène qui ne veut rien dire, qui est la Nouveauté même, dont il n’y a rien à faire, ni tri, ni lien à créer avec un autre phénomène mis en mémoire, auquel il ne faut qu’ouvrir son esprit, qui ne se conçoit pas avec une gymnastique d’appropriation partiale (puisque l’enfant n’est encore d’aucun parti), qu’il lui suffit d’admettre, de s’étonner ou plus sûrement de ne pas s’étonner, l’étonnement n’étant que la réaction adulte à ce qui n’est pas censé être selon le code de ce qu’on a déjà admis d’une certaine « cohérence », et plutôt de découvrir­ – ce que je décris ici, cette forme naïve et transparente de perception du vrai, peut s’intituler : Le regard primordial du Constat. Sous ce regard, nulle volonté ne préside à l’observation, la réalité seule s’expose, il n’y pas encore de méthode de l’organisation et de la négation. Le Blanc suprême, la parfaite mise à disposition de soi par absence de toute idée sur un fait qui survient, l’observation de la chose qui arrive à laquelle, pour la juger et la voir telle qu’elle est, on n’impose pas de référence ou de vraisemblance, la candeur ultime de se laisser absolument impressionner par ce à quoi on ne rattache vraiment nul préjugé, en somme la découverte pure, virginale, immaculée, d’un pan de la réalité à l’exclusion de ses acceptions, voilà la sensation qui manque pour accéder au Réel, du moins à un certain Vrai supérieur, à un Vrai moins altéré ou travesti, et qui, peut-être, permettrait d’atteindre à un niveau de conscience plus grand que sous le prisme de nos constructions et de nos mœurs sans cesse vérificateurs et corrupteurs. L’Authentique s’efface sous l’oblitération de nos a-priori, au point que le sens que nous avions pour ne pas toujours confirmer a disparu : car tout ce qui avait justement besoin de n’être pas comparé et testé pour être perçu disparaît avec cette évolution ; il nous fallait la faculté de seulement constater, or nous ne faisons plus que déduire ou induire – nous sommes devenus trop intelligent pour atteindre à ce qui ne nécessite que des regards sans antériorité ; nos facultés nous aveuglent, et penser le plus nous rend inaptes à voir le moins : régression de nos progrès ! Or, c’est cette entreprise de réinitialisation, de retour dans la perception de l’enfant sans l’interjection d’une subjectivité adulte, qui ne saurait être tentée par un Contemporain : il se montre même impropre à former des représentations d’un autre Contemporain qui s’applique patiemment à lui transmettre une vision légèrement différente d’une réalité à laquelle il s’est habitué, sans même encore qu’il s’agisse d’une révolution de point de vue ou d’un renversement de paradigme ; comment donc entendrait-il de se fondre dans ce qui relève quasiment pour moi d’une autre espèce, à savoir : l’enfant ? Je me questionne sur la résurrection de la naïveté chez l’homme sans savoir si l’absorption directe du monde serait « neutralité » ou « nihilisme », si ce Blanc Regard, proprement amoral, pourrait lui être reproché comme un renoncement de ses facultés cognitives ou une inconséquence : il se mêle à ces notions conceptuelles de neutralité et d’objectivité tant de jugements défavorables qu’on ne saurait mieux répondre, je pense, qu’en disant que ce ne serait ni une négation de l’humain, ni un cynisme du sentiment : ce serait voir la réalité sans filtre ni déformation, autant que possible « telle qu’elle est », sans adjonction de jugement ou de sentiment déjà acquis.

On pourrait peut-être retrouver un peu de cette sensation de surprise-qui-n’en-est-pas-une, de complète acceptation-observation de ce qui se présente sans agencement, d’innocence sans préétabli de valeur qui permet de regarder la substance réelle de l’univers – je suis, on le comprend, très curieux de cette sensation. Quelque chose m’émeut dans la réception pure des faits du monde, j’y trouve une généalogie qui m’indique un ordre supérieur, et cela complète par étude ma recherche des origines du Sentiment. L’enfance est un mode tout particulier de la captation des choses, et sans la vouloir rendre sublime, sans l’idéaliser aucunement, je veux en identifier la perception, de façon à la pouvoir reproduire au besoin ou à l’envie – il ne s’agit pas de régresser mais de savoir ce qu’on peut découvrir d’une réalité quand on ne s’en forme pas d’attente, sans préalable, sans lui prêter d’emblée de direction, sans influencer sa matière. Or, je crois discerner en le sentiment de la nostalgie quelque chose qui est peut-être de cette sorte et qui constituerait une clé de compréhension, une sorte de seuil, à cet état d’ouverture enfantin. Et voici ce que je propose comme hypothèse plausible : la nostalgie n’est-elle pas justement le souvenir béatifié d’un état personnel où le monde se présentait à nous comme réception sans jugement ? Enfant – je parle de cette part de l’enfance propice vers laquelle la nostalgie se dirige le plus affectueusement –, on ne s’interrogeait guère, on n’avait pas grand souci de prévoir, on absorbait l’alentour sans sous-entendu, par exemple on aimait sans rattacher ce sentiment à des implications nettes et concrètes, on vivait sans intentions, on n’organisait rien, on laissait aux phénomènes le pouvoir de décider par eux-mêmes comme une fatalité ou une providence, on s’abandonnait à la contemplation de ce qu’on n’analysait pas, on était suavement accessibles à toutes sortes d’impressions fugaces et injustifiées, on « catégorisait » si peu qu’on était même – je me rappelle – extrêmement rétifs au vocabulaire exacte, à la désignation rigoureuse, à la fixité d’une moindre taxonomie lexicale, on vivait alors l’oublieuse espérance, lointainement inquiète, d’avoir toujours le temps de faire son innocente collecte, d’instruire encore et encore son inlassable récolte, isolément ; et puis ce n’est qu’après – après le temps auquel se réfère le nostalgique – qu’on a établi les rapports entre les choses, qu’on a voulu appliquer des grilles de lecture plus systématiques sur nos observations aléatoires, un logiciel, un programme, qu’un esprit d’expérimentation nous a envahi d’une détermination à provoquer des réactions plutôt qu’à en subir les effets, qu’on a entrepris d’établir des généalogies à partir de connexions et de conversions, qu’on a ainsi limité le champ vaste de nos regards erratiques pour se concentrer sur des appréciations en lien avec des paramètres, que par exemple on a su pour quelles raisons tangibles on allait à l’école, ou soupçonné, décelé, deviné, que nos parents étaient faillibles et contenaient en partie des vices, qu’on s’est senti emporté par le devoir de donner une discipline et une direction à ce qui nous paraissait jusqu’alors un bienheureux emportement ou tourbillon, une onde ou un courant qui nous soulevait sans qu’il soit besoin d’y contribuer d’un avis ou d’un acte, en somme c’est de là que les faits sont devenus des « données » et puis qu’on s’est doté d’un radar plus aigu d’interprétations pour influer sur chacun de nos examens. Le temps de la découverte était terminé lorsque naquit le temps de la construction : il n’était plus l’heure de constater, naïfs, quels ingrédients épars et mystiques parvenaient jusqu’à nous, mais de les disposer comme matériaux et d’en assurer des réalisations. L’âge alors – certaines dispositions mentales propres à cet âge – a poussé en nous quelque initiative pratique qui s’est orientée et focalisée non plus au hasard des découvertes immenses et hasardeuses, mais précisée sur des découvertes toujours partielles, sur des interrogations toujours plus spécifiques, c’est-à-dire sur des problèmes, ainsi de sorte à occulter de plus en plus la dimension déliée, sensuelle et lyrique de l’univers jusqu’alors empli de correspondances fortuites et envoûtantes. Le symbolisme de Mallarmé et les panthéismes les moins élaborés sont probablement des résurgences de ce mode de réception et d’observation de l’enfant, au même titre que le principe de la méditation quand elle se départit de réflexion. On reçoit, on s’oublie sauf la surface qui constitue notre lien au monde, on accepte tout, on ne résiste en rien : c’est l’enfance. Mais : on se méfie, on tâche à ne rien omettre à part la superficie hyperesthésique source de tant de malentendus, on remet en cause, on questionne et l’on tient hors de soi : c’est l’adulte. Nul des deux n’a moins de valeur, il ne s’agit pas d’incriminer une hiérarchie ; il faut juste reconnaître que l’adulte est récalcitrant à la vraie découverte, tandis que l’enfant rechigne à organiser ses connaissances. Ce sont deux rapports au monde qui ne peuvent plus se comprendre et qui se craignent superbement : l’enfant a peur de se diriger par lui-même, l’adulte redoute de constater ce qui le réfuterait – ce sont ainsi deux positions de repli et de protection. Ces êtres sont également faibles et leurs visions également amputées : leur incomplétude ne porte simplement pas sur la même faculté, mais c’est toujours la terreur, tantôt d’agir, tantôt d’agir à faux, qui les éloigne des dispositions multiples d’un homme plein, apte à user de toute la gamme de ses intellections. La progression de l’enfant à l’adulte se constitue en succession de compétences, non en leur accumulation : nous perdons la découverte à mesure que nous acquérons l’analyse.

Or, pour revenir au moment climatérique de la bascule de notre perception du réel, de la perte irréparable de la faculté du Constat, de la terminaison de l’enfance molle ou influencée qu’on admet un peu vite la « fin de l’insouciance » au profit d’un emploi de la raison critériée et appliquée, je crois plausible que cette transition se soit dégagée assez vite, en un temps plutôt court, au point qu’on puisse remonter à l’année près le temps où nous ne dirigeons plus nos pensées en arrière avec nostalgie. L’effort de cette identification est assez révélateur : si l’on y réfléchit, il y avait, à notre appréciation, une sorte de « période bénie de l’enfance », après quoi l’époque est révolue nettement, on ne s’y penche plus avec une sorte d’affection d’altérité, on commence dès lors trop à se ressembler, à se reconnaître adulte, non toujours d’ailleurs suite à la rupture produite par un événement évident mais parce qu’on repère que la modalité de sa pensée n’était plus la même à partir de là, que son esprit a acquis ensuite une « structure » qui n’a plus jamais considéré les faits de la même manière, manière qu’on regarde encore avec une pointe, un attendrissement, une pitié touchante et sensible – quelque chose a passé qu’on n’a plus retrouvé ensuite, quelque chose de… beau ? Si la nostalgie est ainsi un sentiment proche du regret, c’est peut-être parce qu’elle porte sur l’origine d’une perte, partant sur l’origine de nos déceptions, et je crois que nous décelons en loin que cette origine est : nous-même. Nous nous sommes trompé, menti, abusé et perverti, nous avons en partie déchu, et c’est nous-même que nous avons déçu en demeurant incapable de regarder le monde à la fois sous l’angle de la passivité et de l’activité, de la réception et de la réflexion, car rien ne nous commandait au juste d’éliminer et de choisir, rien ne nous indiquait que ces modes de relation étaient exclusifs. Nous avons sacrifié l’objectivité pour le prosaïsme, et bientôt chaque fait nous a paru nécessairement attaché à une fin – le dernier reste de la sensation de Nouveauté s’est alors dissout. Il est très probable qu’un large pan de nos aptitudes d’évolution s’est éteint dès ce moment, pour marquer si nettement la mémoire d’une différence : il nous a fallu désormais voir sous un angle restreint, on ne s’est plus laissé « imprégner » par la réalité comme auparavant, chaque phénomène s’est dès lors présenté à nous sous l’aspect d’une thèse, mais c’est notre faute, parce que nous n’avons pas cru compatibles ces abords, nous ne les avons pas admis réciproques et complémentaires, nous ne les avons pas supposés dialectiques, l’un devait nécessairement pour nous référer à une « maturité » et remplacer l’autre « puérilité » : c’est un esprit de condescendance qui nous a saisi, au point que l’interprétation, la partialité, l’utilité, s’est substituée à la chose même dans l’instant de sa découverte – et peut-être même anticipons nous d’un instant ce que nous voulons voir tel que nous le voyons, ce pourquoi plus rien ne nous surprend même ce qui n’était pas prévu. Dès lors, ainsi qu’un désenchantement – mais auquel nous aspirions, je crois, en ce génie où nous nous étions cru d’avoir trouvé la clé presque universelle à crocheter toute originalité du monde (ce désenchantement était un enthousiasme positiviste, je doute fort qu’il était déjà un blasement, ou nous n’aurions trouvé nul intérêt à nous y conformer) –, est montée en nous une accoutumance au confort du jugement monocorde et étale, à l’égalité confortable d’un petit nombre d’interprètes, à la tranquillité hautaine des réductions consolatrices et stables, paresse néanmoins distincte de l’enfance parce que l’enfant, lui, est paresseux à définir des usages aux phénomènes tandis que la paresse de l’adulte est à leur attribuer toujours les mêmes usages. Enfants, nous craignions de devoir impartir aux choses une nécessité ; les ranger, les définir, les régler, nous étaient un superflu ennuyeux et morne, un devoir fastidieux et désespérant, un futur pressenti mais dont nous n’étions pas pressé, nous nous laissions envahir, pour ainsi dire, par la prodigieuse indécision des choses – c’est vers ce temps que tend la nostalgie –, puis une transition s’est opérée en nous où nous avons trouvé que les choses se répartissaient selon des protocoles, et où il nous a semblé indigne, gamin, ridicule – sans doute avons-nous été souvent forcés par quelque « responsabilité » d’abandonner cette réceptivité passive et très largement contemplative – de se laisser surprendre par des nouveautés en leur préexistence en-dehors de la signification que nous leur imposons… et l’enfance s’en est allée, nous n’avons plus jamais regardé les choses simplement venues, nous avons tout appréhendé, ou c’est que la part de cette appréhension nous a gâché la moindre parcelle du plaisir de la découverte.

J’ai des impressions de souvenirs de lumière, enfuies, errantes, ravivées par de la poésie, et c’est naïf et émouvant, je retrouve parfois leurs formes vagues et leur essence comme en ces rêves où un rien fait pleurer, où il n’y a pas de causes proportionnées aux émois qu’on épanche éperdument, à grandes larmes éhontées et suprêmes. C’est peut-être la vraie couleur de l’enfant, quand on aime et qu’on ne sait pas pourquoi, qu’on ne se demande même pas si ce qu’on aime mérite d’être aimé, qu’on refuse d’établir un lien entre amour et objet de l’amour, qu’on ne sait pas qu’un rapport y est possible et qu’elle paraîtrait même une sorte d’offense ou de déshonneur. L’espèce de monde intérieur où rien n’est instruit, cultivé, élaboré, où rien n’a son vocabulaire propre, où tout est confus comme la clarté, où tout demeure une impression à défaut de bâtir, la stupeur où l’on voudrait toujours recevoir sans que rien ne change, le goût de ne pas grandir, le souhait que ses parents ne bougent pas, que rien ne meure, et de rester toujours au même lieu indéfiniment, comme si le monde des effets spontanés valaient davantage que celui des causes anticipées, que celui des relations, où la simplicité des affects immédiats comportait en soi une prescience en la crainte acharnée de la disparition de la blancheur nécessaire à voir l’univers tel réel qu’il est, insignifiant en quelque sorte, éternel et inintelligible – c’est l’insignifiance du monde au propre que nous poursuivons quand nous sommes nostalgiques. Or, nous n’avions pas tort, nous augurions une chose de cet ordre, peut-être : la disparition est bel et bien advenue, nos parents sont morts très souvent, ils ont cessé d’être nos parents au sens immaculé, presque tout est mort jusqu’au blasement dans la considération de probabilité de leur (in)conséquence. Tout, après cela – la lumière surtout, j’ai une nostalgie si forte de la lumière de mon enfance – s’est affadi en classification, rabattu aux couleurs du spectre de « l’échantillon du magasin ». Le Nécessaire-pour-interpréter a pris la place de l’Envahissement-pour-voir-vrai, la conscience s’est imprimé la marque omniprésente d’une grille inamovible. La nouveauté est devenue la conformité relative, et même ce qu’il y a de relatif en toute conformité s’est effacée de notre intellection et jusque de notre perception : nous ne le voyons plus. Nous n’étions qu’ouverture, accueil, curiosité, premier degré et franchise, et nous nous sommes exclusivement travestis en soupçon, symbole, orientation du regard, possibilité d’abus, enquête : l’erreur sans doute fut de placer ces interférences avant la source même de sensation, de sorte qu’elle ne peut plus que ressortir altérée, dénaturée, « désilluminée », que notre vision du monde est devenue lacunaire et orientée… Nous ne recevons rien directement en propre, mais nous nous le donnons, nous  nous le transmettons à nous-même : le souci permanent de notre consentement revient à nous interdire d’observer la réalité pure, parce que nous hésitons quelque quantième de seconde avant d’observer. C’est peut-être parce que nous avons idiotement cru – pensée d’adolescent fanfaron – qu’un progrès impliquait toujours l’abandon d’une chose, que nous n’avons pas jugé possible d’entretenir l’enfance de la vision du monde : il fallait que la réflexion remplaçât à jamais cette naïveté – c’était bien une naïveté pourtant, je ne le nie pas, c’était proprement une stupidité, mais elle nous permettait de ne pas interférer avec l’observation, au moins provisoirement.

À présent, pour l’homme, tout est d’une bassesse technique qui empêche de regarder les couleurs de la vie, éblouissantes, inaltérées : par la fenêtre à barreaux, les ombres d’acier pèsent sur les visages, et le ciel présente sempiternellement de lourds traits horizontaux et verticaux, perpendiculaires ; la focalisation est faite sur ces bandes noires, on ne peut plus à peu près que discuter l’épaisseur et le grammage du fer. Je veux, moi, sans nier les barreaux, pouvoir revenir à l’observation de la totalité, effectuer ainsi inlassablement des trajets entre le monde-sans-idée et les idées-sur-le-monde. Je crois cette dualité possible : les rêves où l’on s’émeut sans limite, où l’on vagabonde en contemplations épatées et irréfléchies, prouvent qu’on peut se départir de jugement. Je n’ai pas, quant à moi, si peur comme les autres d’avoir tort que je me raccrocherais d’une fébrilité féroce au frêle grillage de mon rapport au monde : je ne tiens à rien, ne me sens tenu à aucune conservation, tout ce qui m’importe à présent, c’est de voir le vrai.

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