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Henry War
2 décembre 2022

Pourquoi on a besoin de McKinsey

J’invite chacun à regarder la forme d’un rapport de chez McKinsey : c’est en général un simple travail de recopie d’informations publiques, mais présentées différemment de la source, agrémentées de commentaires foncièrement indigents quoique superficiellement techniques, et qui, auprès de gens stylés aux grandes Écoles, donne l’illusion d’esprits supérieurs, parce qu’en ces écoles on a surtout appris l’illusion par laquelle, grâce au respect d’un certain petit nombre de codes, on fait bonne impression et passe pour une « élite » dans la société. En cela, une part importante de la stratégie des cabinets de conseil consiste à s’exprimer dans ce langage qu’on fit valoir à des étudiants influençables qui n’ont depuis ni évolué ni révoqué leurs critères de distinction. Oui, mais cette besogne assez ingrate et plutôt médiocre incomberait aisément à des ministères, et c’est souvent qu’on a vu que des trésors d’argent public avaient été dépensés pour aboutir à des conclusions évidentes, comme ces synthèses où l’on avance que tant d’euros économisés par Français serviraient à réaliser des épargnes vastes et positives. Mais en vérité, je crois que chacun sait que ces travaux ne requièrent qu’une compétence limitée, qu’on ne les consulte qu’à peine, et que ce n’est point par inaptitude qu’on les externalise – la commodité vient d’ailleurs. Même, on n’aurait pas besoin de les commander s’il s’agissait de prendre une décision, parce qu’en général on croit savoir avant même de faire appel à eux quelle solution il faut employer, d’autant que souvent le gouvernement dicte d’avance la conclusion comme il en a pris l’habitude par exemple auprès du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel. Il n’y a donc pas de nécessité en termes ni de méthode ni d’idée à recourir à ces agences ; l’intérêt se situe ailleurs. Mais où ? Voilà :

Le Contemporain employé de ministère vaut à peu près le Contemporain tout court : il répugne aux responsabilités, et n’entend pas communiquer ses idées propres à visage découvert, estimant que ce n’est pas son métier. Ce n’est point qu’il serait pusillanime ou incapable, mais il sait par expérience professionnelle que l’initiative attire quantité de justifications et peut lui être néfaste, c’est pourquoi sa routine consiste à ne jamais oser une réflexion, et, par suite, à ne plus en avoir, faute d’usage : il obéit et exécute des protocoles. Théoriquement, en se remettant dans les dispositions mentales qui firent sa réussite au concours, il pourrait lui aussi produire un rapport similaire, encore que cela lui exigerait ce qu’il a oublié, cette rigueur étudiante, cette abnégation et cet effort qu’on ne lui réclame plus et qu’il a probablement égarés, qu’il préfère révolus et lui rappellent quantité de mauvais souvenirs. Il n’ignore pas le processus des grandes Écoles par lequel on affecte des péroraisons rationnelles à dessein d’arriver au résultat exact qu’on voulait dès l’origine sans y avoir réfléchi – mais à présent qu’il n’y est plus obligé et que sa carrière est faite, cette construction l’embête, et, d’ailleurs, personne, nulle autorité, n’oserait la lui demander, parce que sa hiérarchie devine ce qu’il vaut, sachant ce qu’elle vaut. Jamais on n’y prendra le risque de détacher du personnel pour ce genre de mission spéciale dont le rapport risque fort de ne pas être seulement considéré, n’étant pas appuyé des certifications et des titres ordinaires qui, chez nous, servent exclusivement à mesurer une compétence et un mérite. Ce serait bête, une perte de temps, personne n’y songe seulement, sans compter que la hiérarchie n’est guère pourvue non plus elle-même d’esprit d’initiative ; or, il lui faudrait reconnaître un talent, lui exprimer sa confiance, y attacher une équipe, lui attribuer des fonds spéciaux… En revanche, sur la foi d’un label, sur cet alibi d’une certification reconnue et extérieure c’est-à-dire « neutre », on peut être tenté d’appliquer enfin une politique ; je veux dire que si l’on n’ose pas en nom propre aventurer une réforme, on ne craindra pas de le faire sur le fondement d’un groupe de réflexion, un « collectif » qui passe pour avoir bonne réputation. Ensuite, on en tirera le sentiment du respect d’une forme procédurale qui compte énormément en France parce qu’on y a perdu toute méthode intellectuelle pour juger de la valeur véritable d’une idée, et l’on sera assuré d’un appui formel, tout bureaucratique, bien accrédité, pour la poursuite affermie d’un projet dont on aura respecté sans originalité les étapes les plus mécaniques et officielles. C’est-à-dire qu’on estimera ainsi avoir conféré au projet une « légitimité ».

C’est uniquement cela, le rôle de McKinsey et des autres agences de conseils : à la fin, de hauts fonctionnaires sans audace ni malice peuvent dire : « Tout est en règle : on a demandé à des spécialistes. »

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