Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
27 décembre 2022

Médias hors d'intérêt particulier

Je me répète sans doute : aucun des médias d’information contemporains ne parle de ce qui a un intérêt immédiat avec la vie de qui les écoutent. Ils tâchent en général à concerner pour des faits qui, si on ne les apprenait pas par eux, resteraient à jamais inconnus, qu’on ne désirerait même pas connaître, qui n’ont nul mérite à être particulièrement connus, comme, actuellement, quelques morts à Paris, rue d’Enghien. Je ne puis m’empêcher, quand j’entends ce qui anime mon entourage, moi qui ne m’informe plus des médias, de songer à la façon dont on l’agite pour des causes dont la relativité est patente et où il n’a presque aucune chance d’être impliqué mieux qu’en idée. Même, ces phénomènes n’ont le plus souvent, à les regarder avec un peu de distance critique, aucune conséquence pratique, symbolique ou généralisable sur sa réalité empirique, et savoir que tel collectif de la SNCF est en grève ne change rien à ce que de toute façon il devait et doit prendre le train. Sans compter les « événements » qui n’en sont pas, qui n’en ont jamais été – depuis quand au juste la SNCF n’est-elle pas en grève au moment des fêtes de fin d’année ? –, qui n’en deviennent que parce qu’ils sont avec insistance exposés et promus aux foules qui, de guerre lasse, finissent par s’en emparer. À force, on finit par susciter au Contemporain une réaction épidermique pour des phénomènes étrangers et virtuels, on le prie bien de compatir ou de se scandaliser pour ce dont il ne sait rien et qui ne le touche point, et cependant on est parvenu à le détourner un long moment du questionnement sur la teneur de ses problèmes prioritaires et sur la nature de ses protestations et revendications personnelles et réelles. Comme un meurtre, survenu à l’autre bout du pays et destiné vraisemblablement à n’avoir nulle répercussion sur son existence, l’obnubile et l’accapare, il ignore ce qu’il aimerait être ou avoir, il ne songe pas à s’interroger sur le sens de sa vie, il continue de négliger ce qui lui serait essentiel de réclamer et d’obtenir de son gouvernement ; on lui fait perdre ainsi le recul de son juste égoïsme, ce qui le distrait de savoir quoi penser, quelle réflexion libre, quelle aspiration le nourrit et quel vice l’offusque – on le remplit d’émotions qui ne sont pas les siennes et qui nuisent à ce qu’il aurait autrement intérêt – un intérêt enfin pratique et individuel –, à changer. On tourne ses réflexions en généralité : c’est, hasard ou non, la meilleure manière pour que rien ne change, car il n’y a que les importunités et les espoirs environnants auxquels nous nous attelons concrètement et directement à appliquer nos volontés de réforme. Un homme qui, restreint aux données de son environnement immédiat, a lui-même subi un préjudice, se venge réellement de l’auteur impuni du forfait, mais celui qui se contente d’entendre parler de préjudices réclame des législatures et arbore des principes : or, le premier prépare le fusil, c’est lui qui change le monde. Une manière insidieuse d’interposition à l’action de la vengeance de l’homme, c’est de l’obliger de quelque façon à exprimer et regarder son affaire dans les médias : il ne veut plus agir, il veut se plaindre, et puis voir comme on le plaint.

Il faut vraiment mener cette expérience chaque fois qu’on suit une page d’information : se demander de quelle manière l’annonce nous touche, quel rapport elle entretient avec notre existence, et surtout comment on la saurait, comment elle nous atteindrait réellement, et nous rattraperait, sans la page d’information-même, pour se rendre compte que c’est uniquement le fait qu’elle est diffusée qui nous préoccupe. On doit surtout comprendre que la vie est plus pure, plus efficace, plus forte, sans l’artifice imposé du souci des autres : d’ailleurs, qui oserait même affirmer que ce sont bien pour les autres des soucis, si on leur enlevait les moyens de se publier, de s’atermoyer et s’exacerber en passions médiatiques ? On se retiendrait peut-être par pudeur de livrer ses domesticités pour universelles, et l’on gagnerait ainsi en profondeur et en retenue ; on n’aurait pas tendance à considérer le trou dans la route voisine comme une information à la fois modique relativement au trou insensible de la sécurité sociale, et publiable à dessein de se débarrasser de son tracas, mais, davantage, on le règlerait, et, soi-même, on se chargerait de la gêne d’un ordre d’importance tout personnel et dont on refuserait de transférer la responsabilité à autrui. C’est qu’à force d’étaler comme premiers des « sujets » qui n’ont presque jamais une conséquence pragmatique, notre société est parvenue à fabriquer dans une population entière des inquiétudes sans rapport avec elle et à y instruire des débats où jamais son témoignage ni son existence n’est intéressé, où son histoire personnelle n’est pas engagée, abstractions qui ne se rapportent nullement à ce qui l’atteint, considérations qui pourraient tout aussi bien être celles d’habitants d’une autre planète pour ce que, sans le relai de communication qui les répète à la saturation, ces peuples n’en sauraient rien et n’auraient en aucun cas envie de les savoir : c’est ainsi que nos problèmes sont passablement surfaits et arrangés, problèmes qu’il n’y a alors pas même grande nécessité à résoudre ! Les médias d’informations sont aujourd’hui une incroyable machine à raconter ce que seul le divertissement peut pousser à entendre, ainsi qu’à impliquer dans des événements qui ne sont pas de notre ressort et qui ne font vraiment que relever d’une curiosité semblable à la rumeur émotionnante, fruit de l’ennui ou de l’indiscrétion, parce qu’on n’a aucun problème par soi-même ou plutôt parce qu’on est, volontairement ou non, tenus dans l’ignorance de ce que pourraient être nos vrais et propres problèmes. En cela, il serait faux et de mauvaise foi, trop facile et spécieusement évident, de se targuer de ce que l’absurde intérêt que nous prenons pour des exotismes prouve la valeur de notre altruisme supérieur, et que c’est parce que nous sommes hautement humains que nous sentons poussés au sort de ceux que nous ne connaissons pas. Lisez en vous, ne vous leurrez pas, consentez un moment à vous écouter franchement : vous sentirez que c’est bien par égoïsme que vous suivez en roman ces péripéties sans lien avec votre être, que leur pathétisme vous procure des « émotions » qui vous justifient, que leur complexité vous fournit des « convictions » qui servent la foi en votre solidité, et que tout cela vous donne l’illusion de votre présence au monde – c’est pour vous, et pour vous seul, pour votre plaisir voyeur et votre estime d’artifice, que vous êtes intéressé quand vous vous intéressez aux sélections du journal officiel, s’agît-il de la guerre en Ukraine. Il ne faudrait pas oublier que, partout où les personnes ou les peuples vivent des difficultés réelles, elles n’ont pas le temps de s’intéresser aux difficultés des autres et à des sophistications abstraites, et que, de façon générale, elles ont bien autre chose à faire que de se laisser engouer par des romans.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité