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Henry War
4 janvier 2023

Lovecraft contre Heidegger

Pourquoi je ne reproche à Lovecraft ni son racisme ni son antisémitisme invétérés ? Voilà pourquoi : je n’ai jamais cherché à le considérer du point de vue de la raison et de sa juste conscience de la vérité ; mon admiration vient entièrement de ce que je lui reconnais la capacité supérieure à inventer le faux, mais je ne prends aucun intérêt à ses réflexions épistolaires que j’ai connues tardivement et qui divaguent. De toute façon, Lovecraft n’était pas en prise avec la réalité, on peut à peu près dire qu’il a mené l’intégralité de son existence dans l’insouci total de comprendre la vie sociale et de se mêler au jeu humain qu’il préférait dédaigner faute d’en être capable. Il tirait une fierté aristocratique de se tenir éloigné de ce qu’il déjugeait d’emblée comme vulgaire et qu’il préférait mépriser faute de l’entendre, avec pour prétexte que cela, cette matière ignoble, appartenait au monde, aux usages et aux conventions piètres : c’est un homme qui snobait par principe les manifestations de la réalité, sans examen, ni raison, ni attachement à la vérité subtile, ce qui fit probablement de lui l’un des meilleurs écrivains fantastiques, des plus intègres en tous cas d’idées et de style. Je ne le reconnais pas pour un esprit de réflexion, mais pour un esprit d’imagination. Je n’ai jamais prétendu de lui ni d’aucun autre et pas même de Nietzsche qu’il était en tous points parfait : il était un génial inventeur de vraisemblance, mais un piteux analyste de vérité, et toute sa force intellectuelle résidait dans la composition d’élucubration d’un certain goût distancié.

C’est à peu près ce que je pense de Céline qui correspond à des symptômes équivalents du détachement et du mépris souverains. 

Or, Heidegger comme philosophe doit sa gloire à son exploration de la vérité : il importe donc d’estimer s’il fut capable ou non de la regarder dur et juste. Le degré d’aptitude du penseur à décrire sans faille son environnement et son époque traduit sa disposition à ne pas se leurrer sur la valeur des jugements, à y apposer des critères solides, à prévoir au moins quelque peu la direction humaine et à ne sortir de l’objectivité ni par rehausse ni par négativité, c’est-à-dire à demeurer rationnel et lucide, qualités de constance très hautement philosophiques. La faculté à mesurer la réalité et la proximité entretenue avec la vérité indiquent la rigueur de la méthode réflexive : c’est sur la permanence de ce « contact » qu’on peut juger en quoi des réflexions généralisantes et absconses sont réfutables ou démontrables dans un essai, et particulièrement chez Heidegger dont on est souvent en peine de savoir à la fois ce qu’il a pensé et quel rapport sa pensée entretient avec le réel. Je ne reproche jamais à un penseur son adhésion politique, et j’admets en la matière les opinions les plus variées pour autant qu’elles soient cohérentes avec ses théories, mais leur adéquation m’intéresse, notamment quand on postule la cohésion de son jugement et de la vérité, et je ne saurais assez blâmer que celui qui se prétend philosophe ait pu nier des vérités parmi les plus démontrées. Or, l’embarras récurrent avec lequel Heidegger tâcha de masquer son adhésion au parti national-socialiste au lieu par exemple d’expliquer sur quelle bonne foi il a été tenté par certains éléments d’une doctrine, signale le manque de fermeté d’un esprit plus préoccupé de gloire et de décoration que de saine et rigoureuse tenue face aux choses qu’il doit premièrement constater. En somme, je ne critique point l’immoralité de Heidegger – pas davantage je n’ai critiqué celle de Lovecraft ou Céline – mais l’illogisme de sa réflexion et son peu de considération pour ce qui se rapporte au réel et au vrai. Ces lacunes sont d’ailleurs caractéristiques d’une philosophie que je réprouve, consistant systématiquement à disserter par abstraction au point que rien ne rattache le mot à la réalité, que tout devient simultanément faux et vrai, précieux et alambiqué à défaut d’application à l’expérience : on ne saurait même vérifier si le jugement s’égare, on ne peut qu’essayer de s’assurer que l’échafaudage terminologique et conceptuel qui sert à réaliser ce bâtiment d’air ne se réfute pas lui-même, s’effondrant en néant et en fumée – encore est-ce souvent d’une très grande difficulté, les matériaux d’ouvrage étant inventés de toute pièce par l’auteur, insensibles, idéaux, flous. Quand Heidegger réfléchissait et écrivait, manifestement il n’avait point d’étroite connexion avec le monde, il ne s’intéressait pas à ce que son écrit fût applicable à quoi que ce soit comme au fait d’agir dans la réalité ou d’approcher sa réflexion de la vérité, il ne se souciait que de construire un édifice d’éloquence valorisant, d’où ces dénégations veules, et c’est ce qui le poussa à exprimer sur son temps les grossièretés les plus ridicules, ce qui est indigne d’un philosophe cohérent et nécessaire, c’est-à-dire d’un philosophe tout court.

C’est à peu près ce que je pense de Sartre qui correspond à des symptômes équivalents (relativement au maoïsme) de l’élaboration fortement mondaine et de l’obstination imbécile. Il n’y a décidément presque pas eu de philosophe du XXe siècle.

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