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Henry War
5 janvier 2023

De la perpétuelle réforme des retraites

On n’a pas compris, tant chez nous l’égoïsme étriqué l’emporte sur l’analyse assise, y compris parmi les chroniqueurs les mieux appointés, que ce qu’il y a de consternant dans l’énième réforme des retraites annoncée ne se situe ni en ce qu’elle est injuste, ni même en ce qu’elle est inutile (ce que confirme le précédent rapport du Conseil d’Orientation des Retraites), mais en ce qu’elle occupe des esprits qui, grâce à cela, ont la sensation de se livrer à une tâche importante selon l’image stéréotypée qu’ils se font de leur mission. C’est une extension de ce que j’écrivais récemment sur Mme Borne en la comparant à une dame-pipi parce qu’elle ne parvient pas avec ses cols roulés à savoir où convoquer ses prérogatives et sa compétence. Dans un gouvernement où l’élévation intellectuelle est maigre et où se concentre malgré cela une certaine envie d’agir, on s’attache sans s’en apercevoir à des sujets sempiternels qui représentent des « valeurs » figées, censés faire digne et responsable selon une vision « haute école » de sa destinée, comme actions « braves » et « hardies », sortes d’épreuves initiatiques qu’on devine principielles à la façon dont on ne trouve pas d’arguments pour les justifier, sans mesurer que ces sujets, depuis toujours ou presque, n’ont pas de nécessité et ne constituent qu’un petit nombre de thèmes redondants auquel le politicien, peu imaginatif et très conforme, attache la totalité de ses réflexions, quoique dans un sens toujours présupposé. En effet, il faut reconnaître depuis une certaine distance qu’à l’heure où ce sujet des retraites est abordé, il existe bien des urgences et des priorités plus grandes, autant en termes d’inquiétude réelle que d’ouverture spirituelle : même l’État affirme que sous quinze années au moins ce budget est équilibré. Pourtant, c’est avec sincérité et en prenant le risque d’impopularité que nos dirigeants aventurent des conflits sérieux là-dessus, ce qui prouve qu’ils n’ont aucune conscience, au contraire, du dérisoire et de la relativité de cette préoccupation : ils ne font que suivre des routines associées à une « grandeur ». En somme, ces gens sont encore des enfants que leurs formations ont dirigés vers des centres d’intérêt, et qui continuent d’estimer qu’il n’y a rien de plus noble ni de plus adapté à la condition « d’élite » que de s’intéresser avec récurrence à des thèmes comme l’âge de la retraite, ou l’insécurité, ou la fracture sociale, même quand ces thèmes ne posent aucun problème particulier ou ne nécessitent que des retouches secondaires qui pourraient être insensibles et d’un ordre purement procédural. Par tradition et par fixités mentales, parce qu’ils ne se savent d’autres devoirs et n’ont pas l’idée d’autres fonctions personnelles, les politiciens placent leurs volontés et leurs peines en une étonnante restriction de sujets qui devraient incomber à leurs administrations et à des systèmes d’équilibrage indexés et automatisés, au même titre que la valeur du SMIC ou que les taux d’emprunts nationaux. Ces êtres sont focalisés avec rigidité, s’efforcent de concentrer, comme par gravitation et pour se rassurer de leur compétence, tous les problèmes en un petit noyau de sujets où ils dirigent systématiquement les débats. C’est la technique connue de ceux qui ne s’intéressent qu’à quelques domaines pour lesquels ils se croient forts : ils y ramènent toutes les controverses et toute leur activité, et ils estiment ainsi qu’en ayant géré très peu de choses, ils ont résolu de vastes complications et ont eu énormément de conséquences.

Le marronnier des retraites est ainsi l’un des thèmes où s’occupent les politiciens quand ils échouent à identifier par où ils pourraient servir. Ils ne sont bien sûr pas plus utiles là-dessus que sur l’insécurité ou la fracture sociale, mais leurs années d’étude, dont ils tirent leur mentalité étroite et vantarde, ainsi que leurs collègues semblables, leur rappellent que c’est un levier considérable, et ils sont fiers de penser comme leurs anciens professeurs seraient contents d’eux et comme ils s’exécutent à l'unisson.

Mais d’autre part, ce que les indigents chroniqueurs n’ont pas compris non plus, est que cette réforme des retraites, quelles que soient ses modalités, ne donnera nullement lieu au conflit d’ampleur et fantasmé qui leur offrirait l’occasion d’intarissables discours, de sorte que le gouvernement ira où il a prévu, sans aucun empêchement mis à part quelques parades ponctuelles issues des exceptionnels syndicats qui ne tirent pas leurs subsides, directement ou non, des gouvernements eux-mêmes. Les Français, il faut quand même l’entendre, ont finalement convenu qu’ils n’ont aucun moyen d’infléchir la politique de leur pays depuis que des manifestations beaucoup plus vastes que celles de mai 68 n’ont conduit qu’à leur retrancher mains, yeux et salaire. On s’étonne parfois qu’une jeunesse ignare se désintéresse de politique et ne réclame que de s’enfermer chez elle dans l’oubli des réalités de la société et du monde, mais on doit admettre que nos dirigeants ne se sentent nulle raison d’écouter des foules et leur peuple, qu’ils sont bien au-dessus de cette vieille démocratie-là, qu’ils répondent par la coercition et des « emmerdements » à qui ne sont pas d’accord, et qu’ils ne font même plus semblant d’écouter des représentants de la nation, ces vains députés figurants, qu’ils réfutent à coups d’article 49.3 plutôt que d’arguments dont ils sont incapables et vite lassés. Le Président décide donc seul, élu avec 58,5% de 66% d’électeurs – car il faut déduire abstentions (28%) et blancs (6%) –, soit environ 38,5% de la population inscrite, et, avec une adhésion si faible, il n’a pas non plus à obtenir celle des députés pour faire voter ses lois depuis que la Constitution prévoit qu’on peut se passer des députés (certes, ces représentants du peuple pourraient s’accorder pour voter une motion de censure, mais ils risqueraient d’y perdre leurs place et revenus quand, du reste, la Constitution prévoit que le Président ne serait point tenu d’accepter la démission de son gouvernement – heureusement qu’on a une bonne Constitution et que des titulaires du Capes d’histoire-géo comme Mme Gourault y sont régulièrement nommés !) : on appelle cela « démocratie », et il ne faut surtout pas s’en offusquer ni comparer avec ailleurs parce que c’est indécent, à ce qu’il paraît. On peut toujours prétendre à la Révolution et, en boomer s’excitant par consolation et pour se divertir, déclarer avec amplitude et suspense patriotiques que peut-être la colère de la population peut renverser un régime, mais on n’a jamais rien vu de tel d’un régime aussi stupide et qui a définitivement résolu son dilemme moral en prétendant que des manifestants sont des terroristes plutôt que des citoyens, et qu’en conséquence il faut placer derrière eux des fusils mitrailleurs en quantité suffisante. Les Français n’attendent plus qu’une chose, c’est d’élire enfin le « bon homme », mais le temps restant à revendiquer ou à contester de manière active leur semble, non sans raisons, inutile et perdu. S’ils ne votent que par inflexions vraiment lentes et insignifiantes, c’est parce qu’ils ne parviennent pas, tant ils sont imbéciles eux-mêmes, à beaucoup changer d’avis ou à oser une véritable décision. Quant à placer un bulletin toujours presque identique dans une urne, il faut avouer que leur responsabilité et leur pouvoir, réels comme spirituels, ne vont pas au-delà, en quoi ils obtiennent continuellement ce qu’il ont mérité ; et c’est donc reparti pour une énième « réforme des retraites ».

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