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Henry War
7 janvier 2023

Insincérité sociable des voeux écrits du nouvel an

À qui s’adresse donc la « bonne intention » des vœux que les internautes expriment sur tant de réseaux sociaux ? Assurément, s’ils avaient en tête l’image précise d’une personne, c’est par message privé qu’ils adresseraient leurs espoirs, de façon personnalisée. Or, puisqu’il s’agit de groupes, et même d’ensembles vastes dont on ils ne connaissent généralement pas la moitié, comment pourraient-ils en conscience souhaiter à chacun le bien qu’ils prétendent ? Moi qui suis particulièrement sélectif sur mes « amis », je ne me fais pas d’illusion, devine qu’il doit y avoir parmi eux quantité de piètres personnes et de normale turpitude : comment leur voudrais-je amour, santé ou monde plus favorable, tout en lot et même si certains le méritent, et qui suis-je pour distribuer ainsi mes clémences ? On sent que pour parler à tant d’inconnus confondus, le vœu n’est pas clair, que ce n’est pas au juste un vœu, ou qu’il faut être singulièrement bête pour croire tout à coup à la bonté et au mérite de tant de gens au prétexte qu’ils ont en commun de vous apprécier, c’est même fort immodeste ainsi présenté : un monde meilleur serait sans conteste celui où il arriverait à plusieurs de ces contacts le mal qui leur revient justement ! Évidemment, on peut formuler ces vœux à dessein d’exprimer ce qu’on désire pour le futur et non pour des personnes, mais c’est encore hypocrite d’appeler cela des « vœux » et de se livrer à l’exercice juste au nouvel an, tandis que ce désir n’a rien à voir avec un événement et aurait plus de sens à être affiné quand on le sent plutôt que quand on est censé le faire.

Et pourtant, ces vœux, à ce que j’ai constaté, obtiennent quantité de vues et de remarques aussi insincères ou hypocrites. Il semble que tous s’approprient l’amabilité comme si elle leur était vraiment adressée, ou plutôt ils y font semblant avec une spontanéité horrible, vraiment abjecte, en ce qu’elle révèle leur habitude des simagrées et des protocoles : ils y répondent par une sorte d’effet de cycle, de mécanisme-réflexe qui, pour constituer un affichage de sympathie, n’en est pas moins un néant relatif à leur quotidien même, car ils prouvent qu’à aucun moment ils ne s’aperçoivent que ce ne sont pas une attention, qu’il s’agit uniquement d’une mascarade, comme une pure figure de style. Car il faut enfin se mettre à la place de celui qui écrit ses vœux, en philologue exact :

Voici un être qui estime parler pour des gens, qui pense être entendu, qui suppose que des propos si factices vont impliquer des correspondants, les concerner comme des adhérents ; pourtant il renonce à leur parler en particulier, probablement par paresse ou négligence, surtout parce qu’au juste ça ne l’intéresse pas, que le plaisir des individus n’est en fait pas du tout ce à quoi il vise. C’est la posture de l’intéressant qui, n’ayant rien à dire, pas un sujet, aspire quand même à un « plaisir partagé », qui veut occuper un morceau d’image pour cela, un bout d’écran, de son égocentrisme où rien n’édifie. Mais ce n’est pas un plaisir partagé. C’est trop superficiel pour constituer un plaisir, c’est aussi trop répandu, trop prévisible et traditionnel ; les réponses, du reste, sont de même nature fébrile, provenant de gens qui n’ont pas suffisamment d’existence réelle, de consistance, pour considérer négligeable l’émoticon qu’ils placent là ensuite ou leur commentaire affreusement anti-littéraire et minablement gentil. Ces gens font de la publicité, rédacteur comme commentateurs, et tous s’arrangent pour ne pas voir qu’ils ne cherchent qu’à plaire, sans un indice de ce qui pourrait les rendre séduisants. C’est de la promotion, promotion fondée sur le vide absolu de soi parce qu’en vérité un individu, une identité forte et confirmée, ne devrait jamais avoir le temps d’écrire ces vœux dont l’objectif est à ce point artificiel.

Tous se valorisent : ils se situent, consciemment ou non, et très certainement en partie consciemment, dans une stratégie de communication, même s’ils prétendent que c’est leur cœur débordant qui parle pour eux. S’ils vous aimaient, ils ne vous incluraient pas parmi deux ou trois cents « amis » pour vous exprimer leur transport. Mais au moment même où ils écrivent, à quoi pensent-ils nécessairement ? qu’on y songe bien. Ils pensent à la manière par laquelle le message contribuera le mieux à faire d’eux des êtres sympathiques, drôles, spirituels, généreux, élégants… et l’agrément qu’ils procurent n’est qu’indirect, ce n’est pas leur intention première, n’étant lié qu’à la façon dont il fait d’eux des sociabilités, il vient après, ou plutôt ce n’est que par la façon dont leur message flatte – c’est seulement où le plaisir intervient – qu’ils se sentent bons et convaincants. Ils ne pensent qu’à cela, il n’est pas possible de penser à autre chose en écrivant ses vœux : « Quelle image cette pensée me donne-t-elle ? De quoi aurai-je l’air dès ce début d’année ? Combien de commentateurs vont agréer l’illusion d’amitié que je leur sers ? » C’est un exercice de forme sans fond ; c’est l’adhésion éhontée à l’idée qu’un écrit peut servir uniquement pour l’effet qu’il dirige en faveur de l’écrivain. Mais ce n’est certes pas un partage. Ça n’a même rien à voir avec un vrai partage. Comme philosophie de l’écrit, c’est affreux. C’est concevoir que l’intérêt principal d’un écrit se situe dans le sentiment « sociable » de l’écrivain. On devrait toujours considérer dans quel but un texte est rédigé.

Voilà pourquoi il vaut peut-être mieux haïr ceux qui, sur ces réseaux, vous présentent – mais pas à vous – leurs vœux, vœux qui, d’ailleurs, ne leur appartiennent pas, qui ne sont que vœux de cérémonie. En-dehors du simulacre-rituel, ce ne sont pas même des vœux : rien qu’une pose, très largement vide, par profit d’amour-propre, afin de fidéliser une clientèle qu’on traite comme s’il s’agissait de véritables relations.

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