L'incitation explicite comme naïveté

Toute incitation qu’on fait par la parole ou l’écrit ne sert qu’à endurcir le récipiendaire dans une posture préétablie sans en faire un sujet actif ou pensant. Ou il s’opposera à l’incitation pour se prouver qu’il conserve un libre arbitre et cette « décision » ne sera alors qu’un principe d’indépendance trop systématique pour valoir une vraie volonté ; ou il répondra favorablement à l’incitation parce qu’il y était déjà favorable et qu’il s’apprêtait à agir en ce sens mais alors il s’illusionnera sur le sentiment de sa capacité à accéder à des conseils en se pensant capable de changement ; ou encore, mais c’est plus rare, il obéira parce que l’incitation lui a fait concevoir le bien-fondé de ce qu’il faut faire à quoi il n’avait pas songé, seulement alors c’est quelqu’un qui a besoin d’ordres pour agir, ce qui n’en fait pas un individu admirable. C’est pour cela que je ne formule jamais de conseils explicites, parce qu’une injonction ne fait qu’enfermer dans une mentalité ou qu’elle nuit à l’initiative et donc à l’acte lui-même : je serais aussi déçu qu’on me répondît « non » parce qu’on s’opiniâtrât à des bêtises, que « oui » parce qu’on se figurât avoir changé d’avis quand je devine que c’est faux, que « oui » parce qu’on conçût une pensée neuve, dernier cas où j’ai le sentiment d’avoir en face de moi une sorte de disciple servile et un peu abruti, comme un élève d’école qui attend l’édification du maître et à qui il ne suffit que de dire quelque chose pour qu’il l’exécute. C’est peut-être ma faute : je manque de simplicité. Je devrais comme les autres me féliciter simplement d’avoir exprimé mon avis sans songer à qui j’ai affaire, que mon interlocuteur en tienne compte ou non. La vérité : tout ceci – vérifier l’effet d’un de ses textes ou propos – est pour le chasseur de la moindre minute une abominable perte de temps.