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Henry War
23 avril 2023

Brève pensée sur la mode des barbes

La barbe sert à escamoter les signes de l’immaturité. En se présentant le bas du visage recouvert d’une épaisse toison, l’homme moderne souhaite dissimuler son apparence jeune et inoffensive, et cacher ainsi qu’elle correspond fidèlement à son portrait profond. Il est vrai que sans cet artifice, il ne pourrait compenser sa pensée puérile par un simulacre de réflexion mure : il ne saurait pas comment faire, il n’a pas le commencement d’une idée de ce qu’est, par l’esprit et le comportement, d’avoir l’air viril et sage ; toute l’impression de l’âge se situe selon lui dans la pilosité et la ressemblance d’un être de cavernes – c’est dire justement toute sa « maturité ».

Autrefois, les hommes tâchaient à réduire la vieillesse que l’expérience trahissait à leur visage ; aujourd’hui, ils ont manifestement si peu vécu que la tentative reviendrait à s’affubler d’un nourrisson. Ils ont trouvé ce palliatif qui, sans qu’ils s’en aperçoivent, n’est que stéréotype d’enfants (il ne faut pas leur dire, cela les décèle du premier coup d’œil pour ceux qui, comme nous, ont du discernement),parce qu’ils se figurent ainsi passer pour des « vikings », tandis que le viking est très surfait et galvaudé, rien qu’un personnage de série télévisée pour adolescents ; en sorte que plus ils ont la « mine du viking », plus ils indiquent combien de temps ils ont passé à regarder des fadaises jusqu’à parvenir à y adhérer stupidement.

Il faut regarder ces barbes drues non comme des coquetteries distinguées d’hommes faits, mais avec pitié en se figurant le gamin que cherche à masquer cet adulte, ou plutôt l’adulte que cherche à fabriquer ce gamin. Ce sont des ados imitant des ados imitant des images trouvées dans des films grand public : on peut les aimer, il faut certainement des hommes pour tous les mauvais goûts des femmes. C’est comme le tatouage, supposé permettre d’accéder à l’identité : comme chacun fait réaliser le même, c’est plutôt un corps sans tatouage qui signale dorénavant une pensée individuelle et profonde, mais on peut toujours s’extasier, quand on est sot, sur le papillon, la fée, le « tribal », ou l’excellente et vraiment inédite idée d’avoir fait inscrire sur soi les prénoms des enfants.

Enfin, c’est sans doute un avantage dans notre société de ne pas ressembler à ce qu’on est, comme de grimer ainsi des crétins en ours : en principe, le monde en sort visiblement moins laid et moins imbécile. J’écris « en principe », parce qu’il est malgré tout dommage qu’en dépit de l’essai de sa disparition qui nous soulagerait, le Contemporain rende cet effort de manière si ostensible qu’on ne voie à peu près que l’effort, parmi tant de gens si banalement « originaux », à l’exclusion même de ce qu’il est censé masquer.

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Commentaires
A
Oh la barbe ! Elle masque les cicatrices et bourgeonne de paresse. J'ai laissé mon tissu facial enrober ma petite tête de musaraigne à l'aube du siècle, mais pour raccrocher des mémoires antérieures, anti-moderne, de quand le poil était dru. Quand mes tiges pileuses vibraient au vent je soupçonnai Frank Zappa de m'inciter à ses auditions et la mouche devint italo-californienne, non plus Royale, ni Impériale. J'ai passé mon primaire et le début collégial dans une sévère institution nommée Barbe. Laissez-moi cette faveur, je n'abuse pas de favoris, ça ne descend pas assez dru à la coulée de mes oreilles. Et j'ai vu cet envahissement devenir norme, je crois que cela pose la question que vous suggérez envers la maturité, ce masque ne camoufle pas mais étreint un secret répandu, cette réserve est poliment celle du doute, de l'instable inquiétude que générait le présent pour ces presque déchus classes d'âge, avec une nostalgie du velu, du un peu sauvage. Comme un équilibre à la déconstruction de la virilité, mais partagé par les nombreux genres qui se multiplièrent après l'interdiction des glyphosates, oui, un peu quand les hybrides et les femmes à barbe nous réjouirent avant que de nous souler. Une Guiness en hiver, près du poêle pubien, à Cork, jusqu'à la Lee. Epile, je gagne, efface tu perds. Et pique d'époque.
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