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Henry War
3 mai 2023

Pourquoi je publie loin

Au moment où j’écris cet article et malgré la récente et relative accélération du rythme de mes publications, environ huit mois séparent l’écriture de mes textes et leur édition – par exemple, l’article publié ce matin vendredi 23 décembre 2022 fut écrit le 30 avril dernier. Ce délai n’est pas totalement volontaire, car j’ai tenu à garder un écart raisonnable, par trop court ni trop éloigné, entre ces dates – je tiens surtout à ce que mon lecteur dispose du temps suffisant pour lire tous mes travaux s’il le veut, et je ne veux pas écrire dans la certitude qu’il lui serait impossible de me suivre. Mais quand le délai avoisina un an, j’eus de plus en plus l’impression que mon propos devenait obsolète, et je craignais si je prolongeais cette durée qu’en me relisant avant publication je ne fusse plus aussi d’accord avec celui qui rédigea il y avait tant de temps, et ainsi de devoir modifier énormément mes écrits en leur faisant perdre de leur unité et de leur fraîcheur – c’est pourquoi, pour rattraper ce retard, je décidai de poster plus souvent.

Cependant, je ne me résoudrai pas à réduire l’écart au-dessous de trois mois.

Trois mois de recul sur son propre texte permettent d’en lever les intentions impulsives qui sont sources d’erreur, et de corriger les originalités syntaxiques qu’avec le temps on ne se comprend plus. Ce « lissage », cette atténuation du « bruit » par la raison et par le style, permet de s’assurer qu’un écrit reste à la fois vrai et lisible quand on a passé le moment de se rappeler ce qu’on voulait dire ; en somme, chaque fois que je procède si tard à la relecture d’une de mes pièces, j’ai largement l’impression que c’est un autre qui l’a faite, de sorte que je puis la juger sans me sentir personnellement impliqué, sans me vexer de mes erreurs passées et sans crainte de supprimer des extraits qui, à l’époque, m’avaient donné du mal et que j’aurais alors rechigné à sacrifier. C’est ainsi avec un esprit de plus grande distance que je retourne à des textes qui ont pour moi une saveur révolue, qu’à la fois je contemple et retravaille avec peu de sentiments de vanité ou de déception : ce m’est surtout un exercice, effort d’amélioration technique comme j’en ferais pour un écrit d’autrui, et rien ne me presse, rien ne m’échauffe, c’est comme le devoir de rigueur refroidi où j’éprouve un peu, si l’écrit est bon, de la chaleur de naguère – le pathétique ou la justesse ne se ressent avec fiabilité par l’auteur qu’en résurrection ou reviviscence, tandis qu’il est fréquent qu’il se croie génial dans la chaleur de l’écriture et finisse par s’apercevoir, pour le dire par métaphore, que ses vers ne sont pas les alexandrins qu’il avait comptés. Ainsi estime-t-on moins partialement le génie en un écrit à mesure qu’on s’en identifie moins auteur : on lit l’œuvre, on n’est parasité par la conscience de son amour-propre, on l’examine et la juge comme s’il s’agissait de n’importe quel texte étranger – alors, l’une ou l’autre : ou l’admiration qu’on lui voue a plus de prix si l’on s’étonne de l’avoir écrit, ou les corrections qu’on y apporte sont plus franches et décomplexées en touchant moins au regret d’avoir soi-même« manqué ». C’est pourquoi je tiens un certain délai pour nécessaire au perfectionnement de l’écrit quant à l’objectivation de sa qualité.

Mais un autre des avantages considérables de cet écart se situe dans la résistance glacée que je puis grâce à elle opposer aux commentaires fiévreux qu’on risque encore de m’adresser. « Mais de quoi parlez-vous ? ai-je alors sincèrement l’envie de répondre. D’où tenez-vous que j’ai trouvé une urgence à discuter de cela, que j’ai publié dans le feu et la passion ? Est-ce donc, tant de mois après avoir écrit ce texte, que j’aurais eu un intérêt personnel, immédiat, brûlant, à le rendre public ? Vos fureurs et imprécations tombent sur un esprit qui, sans cesser d’assumer son œuvre, ne la regardent pas même comme la sienne, je veux dire que je me suis récemment contenté d’en mesurer et d’en valider l’expression, et, après quelques menues retouches, je l’ai trouvée encore juste. Qui est donc celui que vous accusez de se venger d’un mal qu’il viendrait juste de recevoir ? Pourquoi prenez-vous cette humeur fauve pour m’objecter ? J’ai regardé une nouvelle fois cette pièce, je l’ai examinée avec vous comme un objet, détachée de moi, et je l’ai reconnue éloquente et sensée ; je ne me rappelle plus dans quelle circonstance je l’ai écrite, et je m’en moque, puisque cette circonstance ne m’a pas paru identifiable et attaquable dans l’état de calme et de repos où je l’ai relue et corrigée : pourquoi pensez-vous qu’il soit possible, avec un tel décalage où je me trouve, de me provoquer ? » Ainsi ce délai prévient-il en grande part toute offense qu’on voudrait que je rendisse impulsivement dans une sorte de colère, ou même dont on voudrait que je me justifiasse, empli de prétextes improvisés et de la mauvaise foi qu’on éructe dans l’attachement irraisonné à son travail pour confirmer coûte que coûte sa raison et préserver sa réputation. En somme, on est souvent tenté de m’interjeter : « Comment pouvez-vous écrire une telle chose !? », à quoi mon sentiment réellement distancié aspire à répondre : « Mais qui a écrit cela ? Ah ! moi ; c’est possible, c’est vrai, je ne m’en souviens plus, je vous demande pardon. Vous dites que j’exagère ? Qui donc ? Moi ? Décidément je ne parviens pas à me faire à l’idée que j’en suis l’auteur. Mais enfin, celui qui a écrit ce texte me paraît sensé si l’on y réfléchit posément et qu’on prend chacune de ses propositions pour ce qu’elle signifie. Oui, je dois même vous dire que c’est un texte que sur de nombreux points j’aurais aimé écrire. Que dites-vous ? C’est moi qui l’ai écrit ? Allons, vous voyez bien que je ne m’y fais pas ; mais à présent examinons ensemble sur quelle phrase de cet écrit votre critique au juste croit porter. » Qu’on devine combien ce détachement est désarmant ; mieux : ce n’est même pas alors de ma part une manière ou une pose, vraiment rien d’une posture ou d’un calcul, mais c’est que dans l’état de tranquillité où je me situe, je ne fais même pas exprès d’en user !

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