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Henry War
1 juillet 2023

Sur les "émeutes" actuelles

Lorsqu’on considère depuis une moindre distance ce que la plupart des Contemporains appellent « événements », et notamment quand on s’est volontiers dépourvu de télévision, on s’aperçoit de la façon forcenée dont ils s’attachent à transformer des anecdotes récurrentes en des secousses considérables. Un premier critère pour juger de la réalité d’un événement consiste à se demander si, en l’absence de média, on aurait eu accès à lui, autrement dit s’il existe un rapport plus que symbolique entre soi et le phénomène relaté. Un second critère, c’est, à défaut d’un tel rapport, de voir si l’on peut considérer avec objectivité que cet événement dispose de propriétés conséquentes ou de quelque ordre politique.

Aucun attribut des « émeutes » dont tout le monde parle actuellement ne répond à ces critères. Si comme moi et la plupart des Français on ne vit pas dans une des villes qui disposent d’un quartier-banlieue malfamé (et même si l’on y vit, souvent), on doit admettre qu’on n’aurait jamais, sans la télévision ni la sempiternelle rumeur de la tante-de-mon-beau-frère-qui-connaît-quelqu’un, su de quoi il retourne. Quant à savoir si, en province, on peut ignorer une révolution parce que, bassement incurieux, on ne vit pas à proximité de la Bastille, il faut reconnaître que quelques centaines de jeunes déscolarisés volant des magasins et lançant des pierres n’a pas l’effet d’un seul anarchiste des années vingt posant une bombe dans un café ni d’un groupe de dissidents prenant possession d’un lieu public. Nos « émeutiers » utilisent des disqueuses pour couper des réverbères et tenter de piller des distributeurs de billets, mais ils ne songent pas à couper le cadenas permettant d’entrer par effraction dans la salle du Conseil municipal. Quant à projeter d’envahir l’Assemblée nationale ou d’assassiner le Président…

Ce qu’on appelle ici « émeute » ou « révolte populaire » ou pourquoi pas « révolution » se cantonne à l’expression prudemment virulente de jeunes gens qui, en lâches et rassurantes bandes, se désennuient par beau temps en cassant des choses pour s’émouvoir à l’interdit – on devrait toujours considérer la température de l’air avant de parler de révolte (aussitôt qu’il pleut, ces « mutins » retournent à leurs jeux vidéo). Comme il leur semble qu’ils affrontent l’autorité, ces enfants s’amusent à se faire peur, et ils se fabriquent là un événement qui les transporte en imagination et leur donne l’impression d’exister. Par ailleurs, d’autres enfants, mais en général physiquement plus vieux, n’ayant pas non plus maintes activités, ont aussi beaucoup de temps de reste pour s’amuser à se faire peur, alors ils se focalisent sur quelques jeunes prudemment virulents, et s’en fabriquent un événement qui les transporte en imagination et qui leur donne l’impression d’exister. Comme cet « événement » de toutes parts a besoin de prétextes pour s’entretenir, chacun y justifie ses position et intérêt par l’idée d’un « combat » qu’il prétend mener depuis longtemps, et l’on nous fait différemment croire qu’une tribu d’adolescents volant des baskets sont en réalités les abandonnés de la République que le dénuement extrême oblige à se vêtir, ou que l’immigration est manifestement à l’origine des ravages qu’on constate dans des lieux où la forte concentration d’étrangers etc. On parle d’ensauvagement civilisationnel ou de fracture sociale, on appose des grands mots sur ce qui n’est qu’un divertissement et ne relève pas du commencement d’un acte, et, tandis que la gauche se sent confirmée dans ses espoirs de Révolution et de Sixième République, la droite s’estime entérinée dans ses alarmes d’Insécurité et ses appels aux valeurs d’Autorité. L’opposition prétend que c’est le signe confirmateur d’une défiance généralisée face au pouvoir, et le gouvernement en profite pour rallier les craintifs qui, pour leur sécurité, réclament l’intervention de plus de pouvoir.

Tout cela est un jeu et une mascarade dont personne ne s’aperçoit. Si l’on a d’ailleurs de la mémoire, on se rappelle que c’est environ la trentième « révolution » annoncée en dix ans.

Chacun se crée ses petits effrois temporaires qui lui font une sensation d’importance, aussi bien les « émeutiers véhéments » que les « citoyens responsables » ; et l’on se repaît des versions qui confortent, mais tout cela n’est jamais sérieux : ce n’est que le simulacre de risque de toute une société du confort qui n’ose pas reconnaître qu’elle vit sans véritable problème et qui, si elle l’admettait, se mépriserait. Qu’on voie comme « l’horrible pandémie mortelle » s’est abattue sur elle et avec quels effets réels : chacun s’est précipité là-dessus, et presque personne ne connait directement quelqu’un qui soit mort du Covid. Je suis las des Contemporains qui, perpétuellement et sans mémoire, sans conscience de leur inconséquence, sans conscience de leur essence, annoncent ce qui ne se réalise jamais et qui, par passion, expédient des jugements pour qu’à travers quelque communication ils se trouvent une grandeur. Ils ont grande nécessité qu’il « se passe quelque chose » pour avoir enfin « quelque chose à dire » et se sentir présents et influents : c’est que leurs discussions et chroniques antérieures sur des films ou sur d’autres divertissements les ennuyaient et humiliaient toujours un peu. Ils ont reconnu là un propos-de-gloire dont ils s’emparent, sautant sur l’occasion pour faire des pronostics inquiétants qui ne se réalisant jamais et pour tourner des réflexions graves qui ne contiennent pas une pensée ; et les voilà contents, ils ont une « idée » ergo ils « existent ». Quand ils estimeront en avoir tout dit, c’est-à-dire tout ce dont un esprit pauvre est immédiatement capable de se purger, quelque autre « événement » occupera leur misère mentale, et ils garderont l’impression d’être « à la pointe », concernés par la vie, se croiront des positions et des activités… C’est surtout le défaut d’agir qui les empêche de considérer ce qu’est, ce que serait s’ils en étaient témoins, un acte réel : ils s’appuient sur des ersatz qu’ils prennent pour authenticités, et ils ont peur comme si… comme s’ils avaient vraiment peur. Ils ne ressentent même plus le simulacre de la peur, et ils exacerbent leur peur comme on fait au cinéma, recherchant la peur, stimulés par elle, bien plutôt qu’ils ne la fuient : ils ont finalement plus peur – une peur avantageuse – de leurs mots que des faits, de leurs visions que des faits, de leurs exagération appréhensive des faits, de sorte que ce ne sont, comme toujours dans la Contemporanéité, que des styles – styles de phrases, styles d’images, styles de pensées – c’est-à-dire que des représentations qui font ce dont ils s’affolent et par quoi ils se réalisent. Ils sont fascinés par la violence qui leur évoque les actes notamment politiques dont ils sont devenus incapables et auxquels ils ne peuvent plus prétendre à leur grande honte, et ils s’indignent pour des risques qui n’existent que dans leur imagination, parce que le risque les rappelle à une vie réelle qui, en leur quotidien, ne se manifeste plus.

Quant à moi, je ne prends pas à ces amusements et à ces distractions : ce sont l’essentiel et le sérieux qui m’occupent – en quoi il n’est décidément pas concevable qu’un Contemporain s’intéresse à ce que j’écris.

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Commentaires
A
Ce sont les pensées circulaires avec les référents qu'on se sélectionne qui m'affligent. Elles entrainent des postures, comme vous le dîtes qui postulent à échapper à l'ennui, mais à long terme, surtout, dans l'enlisement presque fataliste qui verra les plus fragiles ne rien maîtriser de leur destin. Et les ressentiments à venir tapisseront un décor encore plus absurde, là où les volontés auront difficulté à s'adapter aux accélérations mutantes, les collisions d'intérêts pour trouver place en société. Encore une fois les sentiments d'égalité creuseront les tranchées infranchissables des disparités bien plus difficiles à résoudre. C'est un des enjeux, un des risques.
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