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Henry War
7 août 2023

Démenti sur ce qui annihile l'amour

Ce n’est pas le quotidien – le travail moderne notamment, répétitif et « aliénant » – qui tue par progrès l’amour ardent des commencements, car tout homme doit effectuer sa tâche du jour, même celui qui vit en sa condition exceptionnellement libre et difficile, mais ce n’est que la médiocrité de votre quotidien du fait de la médiocrité individuelle dont vous y témoignez qui vous rend graduellement de moins en moins digne d’admiration donc d’amour. Vous avez bien changé, on vous a connu plus hardi et meilleur ; à l’origine, on vous a certes trouvé un « certain talent », mais il n’est plus un acte dont vous seriez fier et que vous pourriez arborer, puisque vous êtes et faites exactement aussi peu que n’importe qui : quelle serait à présent votre vitrine de talent, vous qui vous dépersonnalisez en devenant indistinct ? En tout effort même appliqué à de petites choses, on s’illustre par une performance, multiplie les témoignages de distinction, et ces performance et distinction, si elles sont perçues par autrui, peuvent susciter l’amour en ce qu’elles vous distinguent de mille autres personnes qui exercent moins bien votre activité – ceci est encore dit à défaut que vous ayez l’initiative de travailler en dehors de votre profession. Mais vous ne faites plus que vous plaindre et languir hautement de remplir mal l’identique et facile fonction, entre des divertissements vains où vous n’êtes pas non plus meilleur : comment votre entourage pourrait-il vous en aimer ou continuer à vous aimer, et comment n’y trouverait-il pas justement matière à se déprendre de vous ?

On peut être admiré et aimé pour des actes immoraux qu’on mène avec une efficacité particulière, admiré et aimé même pour des actions sans grande conséquence, simplement parce qu’on les réalise avec une incomparable vertu : c’est le particulier en soi qui attire l’admiration et l’amour ; et sans doute, avant de vous connaître au travail, vous aima-t-on, il y a longtemps, pour la façon singulière dont vous promettiez d’être quelqu’un, que ce fût surestime, vantardise ou non. Mais vous qui promenez aujourd’hui partout vos plaintes et votre flemme, quelle serait votre façon particulière de n’être personne ? Existe-t-il une manière particulière d’ennui et de langueur inerte par laquelle on puisse susciter le désir ? A-t-on déjà aimé quelqu’un pour sa propension à s’abandonner au confort le plus prochain et éhonté ? C’est pourtant ce que dans votre quotidien vous avez « acquis », cette mollesse anodine et anonyme… Or, on doit sans mal pouvoir imaginer des hommes, même œuvrant dans des métiers mal réputés, dont on mesurerait, y compris après des années, les force et volonté supérieures, maintenues en une mentalité ferme, et qui renouvelleraient l’amour par l’entretien et le renouveau de cette individuelle puissance. Est-ce qu’après tout on peut vraiment aimer ce qui ne serait pas une exception ? Un homme au milieu des contrées sauvages, d’une vie âpre, taillant dans les bois pour survivre et chassant des animaux, ne vaut pas nécessairement mieux, dans cet ordinaire sauvage, que le trader qui réalise des combinaisons audacieuses et rares. En somme, ce n’est pas votre situation ou votre état qui vous rend minable, c’est la manière que vous avez d’y végéter sans manifester votre identité et vos facultés, en attendant qu’on vous aime, en espérant une autre situation et un autre état, en maugréant contre le sort que cependant vous « méritez ». Vous êtes devenu commun. Aucun voyage à l’autre bout de la Terre ni nul gain au loto ne réussirait à ressusciter l’amour d’autrui à votre endroit : même vos vacances avec l’aimé ne vous rendent pas plus aimable contrairement à ce qu’il semble, mais elles offrent à l’aimé une occasion artificielle pour s’illusionner sur son amour : c’est qu’avec l’argent pour muser de place en place, vous donnez l’impression d’agir. Pourtant, votre valeur s’est bien éteinte dans le quotidien dont vous ne faites rien, mais votre quotidien n’y est pas pour grand-chose ; ce n’est pas votre banal qui vous a rendu piètre, mais exactement l’inverse.

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