Le spectacle d'ouverture de la coupe du monde de rugby 2023

Je n’ai pas vu le spectacle dont il s’agit en mon intitulé, seulement quelques images – j’en aurai peu à dire.

Chacun s’accorde sur ce qu’il consistait en une somme de clichés relatifs à la France et aux Français – des imageries, si l’on préfère. On propose de les justifier ou par le sentiment agréable et de fierté que ces vignettes suscitent, ou par l’exposition aux étrangers de ces cartes postales vivantes et attractives. On argue que ceux qui s’y opposent n’aiment pas leur pays et déjugent son caractère traditionnel : un Français par définition devrait adorer tout ce qui relève du proverbe français.

Je me fiche de la façon dont les médias et les chroniqueurs, qui décidément n’ont rien à exprimer que des usages auxquels ils tiennent, s’épanchent sur un sujet si pauvre à dessein de soutenir une cérémonie si apparemment mièvre. Mais je constate qu’en matière d’art, aucun ne dispose de la moindre notion, en-dehors du divertissement habituel.

Je demande qu’on y réfléchisse : je vous offre des millions pour organiser un spectacle à destination du monde, et vous êtes artiste. Que faire ? Le plus bête, le moins inspiré, le plus répétitif, le moins élaboré, est d’insister sur les images d’Épinal du pays : incontestablement, c’est le niveau zéro de l’inspiration, reproductible en série à toute occasion. On prétend que c’est forcé, pourtant on n’avait guère vu auparavant de telles niaiseries, et je m’étonne qu’il n’y ait pas un artiste pour s’en apercevoir : rien n’oblige évidemment les organisateurs d’un festival à vanter les traditions de leur contrée. En Thaïlande, on n’expose pas en spectacle des prostituées mineures ni en Amérique des massacres d’Indiens. Même les valeurs historiques positives, on n’en fait alors pas systématiquement étalage, non parce qu’elles sont fausses ou connues, mais seulement parce qu’un véritable artiste sait que le contraire de l’art, c’est le cliché.

Vous voyez une œuvre. Elle vous dit exactement ce que vous savez déjà. Elle ne vous apprend rien, ni sur vous-même, ni sur le monde. Eh bien ! c’est précisément parce que ce n’est pas une œuvre d’art.

Je me moque des raisons de publier ce qu’est la France, en France ou à l’étranger. Mais je ne me moque pas de la disparition de l’art en France. Or, il semble qu’avec ces manifestations, la disparition soit consommée. On sollicite un « artiste », et la meilleure idée qui lui vient, c’est : on va rémunérer un acteur célèbre pour poser content avec un béret et une baguette de pain. Si encore il avait fallu improviser ce spectacle, mais c’est un travail longtemps préparé ! On aurait pu proposer une somme d’artistes chargés de présenter en leur domaine la quintessence de leurs talents, et c’eût été une belle vitrine des arts français et de ce que favorise notre mode de vie ; mais quels artistes, et pour quelles réalisations ? Il n’y en a plus en France, sinon des Parisiens qui peinturlurent des toiles et encore d’autres Parisiens qui plient des objets. On était embarrassé à trouver des démonstrations d’artistes actuels, alors on a préféré s’en tenir à des apparences d’art passé. Quand on n'a plus d'art à présenter, on se rabat sur un « art-de-vivre ».

Pire : le citoyen semble prendre plaisir à cette caricature. Soit ! c’est qu’il n’a plus de sens critique, en quoi se mesure dans les mœurs tout l’art d’une nation.