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Henry War
12 septembre 2023

Pourquoi l'on parle du sens figuré de certains livres

Jamais livre n’a connu un succès populaire grâce à ses symboles ou à sa haute lucidité : c’est toujours au contraire ce qu’il y a de plus accessible et commun qui plaît au grand nombre. Il serait bien étonnant qu’un peuple eût aimé un ouvrage parce qu’il était sérieux et compliqué : c’est plutôt parce que l’ouvrage a confirmé sa mentalité qu’il l’a honoré comme le travail d’un génie, souhaitant faire resurgir sur lui le mérite d’un « esprit ». Le texte était simple, son premier degré fut agréable, ergo le livre lui plut : ce n’est que ce rapport élémentaire au divertissement qui détermine la gloire. Or, qu’advint-il quand il fallut analyser cet engouement ? Il arriva qu’on n’osa admettre les raisons basses de l’adhésion des foules tandis que l’œuvre semblait en réalité assez bête, qu’on ne parvenait pas à signaler ce qui y était si « pénétrant » que le monde en avait été à ce point enthousiaste, et que de toute urgence on voulut trouver des arguments en sa faveur pour ne pas réfuter le « bon jugement » des majorités : ce fut le rôle de l’Intellectuel de proposer ces prétextes. Il chercha donc avec acharnement la grandeur dans la petitesse ainsi que font les apôtres de toute religion où ils sont nés, et bientôt il fit état des caractéristiques si subtiles dudit livre que personne ne les avait aperçues ; et il rapporta surtout des sens figurés, des métaphores audacieuses, des constructions savantes et des références abstruses que l’auteur même n’avait pas sus, et le fait que ni lui ni le lecteur n’en eurent conscience ne constitua point une objection à l’élaboration « sous-jacente » qu’on octroya à l’origine du texte. Au contraire, on prétendit que ces interprétations argutieuses constituaient une culture inconsciente, inhérente à l’homme social, le fond de son substrat spirituel, de sorte que le lectorat en sortit plus intelligent qu’il ne l’aurait deviné, comme étonné de sa pertinence instinctive qu’il ignorait jusqu’alors. Mais c’est précisément à quoi il aspirait en convoquant ses spécialistes : qu’on lui expliquât en quoi il avait raison. Voilà pourquoi la plupart des quêtes absconses de chinoiseries justifient le mauvais goût des gens : le commentaire pédant sert à vanter la « bonne intuition » des foules en leur attribuant une perspicacité incroyable qui valorise toute œuvre qu’elles ont aimée sans qu’elles aient été en mesure de s’en figurer des causes nobles. On finit ainsi par fabriquer les légendes de Chrétien de Troyes, de Rabelais, de Molière ou de Jarry dont les qualités seraient beaucoup plus délicates que leur facilité patente, grossière et complaisante. C’est merveilleux : tout à coup le peuple est transfiguré par des universitaires bavards qui n’ont pourtant pas écrit une œuvre : comme il ne saurait avoir plébiscité des livres piètres – ou de mauvaises séries télévisées, ou de vulgaires matchs de foot –, ceux-ci deviennent en quelque chose sublimes, et par un rebond opportuniste il en sort superbe et d’une sagacité, mais vraiment… qu’en toute autre chose on ne lui a jamais connue !

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