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Henry War
16 septembre 2023

Déception des autres

Tout notre malheur en société vient de ce que nous jugeons les gens meilleurs qu’ils ne sont : nous prêtons à autrui nos courages, nos forces, nos grandeurs, nous les jugeons d’après ce que nous sommes et qu’on suppose universel, ainsi nous décevons-nous qu’ils ne disposent pas tant des qualités que nous leur prêtons et présumons – et cela vaut en amour également. Les autres par exemple n’accordent jamais la même importance que nous aux valeurs qui font notre personnalité, et l’on s’en rend compte avec peine ou douleur lorsque notre enthousiasme leur a attribué plus ou moins automatiquement des intérêts similaires aux nôtres : nous nous sentons trompés, mais c’est nous qui nous sommes trompés ; nous n’aurions pas dû les prendre pour ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire largement pour nous-mêmes. Pour s’épargner la morsure de la déception, il ne faudrait jamais vouloir de quelqu’un ce qu’il s’avère incapable de donner, ni prévoir ce qui chez lui ne se réalise pas – anticiper que tout est décidément faillible même chez ses meilleurs alliés. Or, est-ce possible d’évaluer si exactement ce qui manque ou peut manquer à quelqu’un ? Le potentiel de défauts d’un être est toujours pour soi une prévention défavorable, un préjugé négatif, et il n’est pas non plus juste d’en user ainsi avec son entourage : il convient donc de savoir, dans le cas général, ce qui est défaillant, et d’en faire le report à telle personne, selon la vraisemblance, sur telle vertu qu’on n’a chez elle pas encore éprouvée – en somme, ne jamais admettre une vertu sur parole, et se contenter de fonder impartialement son anticipation sur des règles de probabilité.

Ou alors il faut vivre seul, et, pour toute félicité, ne dépendre que de soi, en pensées de maître ou d’ermite intérieur, à distance de tous, une distance mentale. J’y songe. C’est si dur de compter sur quelqu’un et de s’apercevoir qu’on n’aurait pas dû, de se sentir naïf à mon âge. Or, puisqu’il est impossible de se retenir d’augurer, autant n’être vraiment parmi personne, ainsi ne devoir aucun apport de plaisir à quiconque qu’à soi. Soi, du moins, est globalement celui sur qui un homme comme moi n’a pas de doute : tous les plaisirs de soi, tant qu’on n’est pas malade, viennent à point et sont à peu près sûrs. Pour être heureux, je dois décidément faire mon deuil d’autrui : penser, du moins, que rien de très bien ne doit venir grâce à eux, et que tout ce qu’on en espère, au dernier moment, peut être empêché. Ne jamais se dire du mérite d’autrui qu’il est assuré, et ceci perpétuellement.

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