Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Henry War
24 octobre 2023

Incapacité ou crainte de généraliser

Le plus grand défaut intergénérationnel des esprits contemporains, « Boomers » autant que « génération Z », visible dans les conversations courantes, exaspérant l’homme volontaire et neutralisant presque toute nécessité de communiquer, est l’impossibilité et le refus de donner à l’idée la forme d’une généralisation concluante. Tant que vous demandez à vos interlocuteurs de parler de situations singulières, de raconter des détails de leur vie privée ou de rapporter des pratiques personnelles, vous les trouverez disposés à vous répondre, et agréablement surpris de vous rencontrer si curieux de leur existence, mais que vous interrogiez, à un stade supérieur et distancié de relative critique, l’ensemble des valeurs auquel tout cela correspond, non à dessein de faire le savant mais afin d’en tirer un savoir transposable, voilà qui devient difficultueux et intempestif. Or, c’est cet esprit de généralisation qui se situe à la base de toute leçon et de toute transmission : il est d’un maigre intérêt de savoir comme un ami a élevé son chien, mais on profite au contraire de comprendre pourquoi il estime que c’est ainsi et pas autrement qu’il faut élever un chien. Toute pratique requiert, pour édifier, de justifier son usage, mais c’est ce qu’on ne peut exiger aujourd’hui sans mettre dans l’embarras, et un embarras immoral. Tant de gens s’empressent de discuter avec loquacité de ce qu’ils font, mais nul n’est désireux ou capable d’en indiquer le fond, d’expliquer une cause ou de démêler une caractéristique. Je me moque que tel de mes parents ait voté pour tel candidat au dernier scrutin, mais je trouve instructif d’apprendre les raisons qui ont motivé son choix, parce que cela est susceptible d’avoir sur moi un effet. C’est justement, je crois, ce qui fait la stérilité foncière de la discussion contemporaine : personne en son for ne s’admet d’emblée ouvert au changement, nul ne consent a priori à ce que la conversation modifie ses opinions et ses décisions, chacun se prépare à se défendreplutôt qu’à s’infléchir, par conséquent il importe peu de connaître les principes d’autrui, autant s’en contenter des épiphénomènes, voilà qui est moins risqué – c’est concrètement ce qui fonde dans la mondanité normale la coutume d’exclure tout sujet politique, éthique ou philosophique, toute position sur laquelle il pourrait y avoir un désaccord ou le début d’une argumentation. Mais je ne vois que ces sujets qui peuvent induire une implication intime et, avec elle, l’intérêt de parler, et j’avoue que lorsque j’interroge mon entourage sur des détails modiques de son existence, c’est non avec l’intérêt foncier de découvrir ce qu’il a fait, mais en jugeant des généralisations ou des transpositions de ces actions, que je réalise en moi-même, et c’est cela qui m’importe : je tâche à déterminer si sa pensée est sage, par suite si j’ai honneur à me trouver en sa compagnie et si je puis faire mon profit à l’interroger sur autre chose. C’est, même à vrai dire, la condition de ma sympathie pour lui, et de tout intérêt véritable envers un homme : s’il me paraît pertinent, je l’apprécie, renouvelle et entretiens nos discussions ; or, le défaut actuellement si répandu de tout examen de la sorte caractérise la relation contemporaine, à savoir une foncière indifférence à autrui, même à ses collègues, environ synonyme de mépris, où l’on ne tâche jamais à mesurer si l’on s’adresse à une machine ou à un individu, où cette considération ne fait nulle distinction dans la modalité de nos rapports à autrui. En somme, on ne se demande jamais si l’on aime son interlocuteur, on se contente d’alterner des répliques, et Chat GPT ferait aussi bien.

Je crois qu’il faut y examiner avec attention pour s’apercevoir combien cette observation est juste et concrète : pour faire parler le Contemporain avec agrément, il faut lui demander de se souvenir, jamais de réfléchir, notamment d’induire ou de déduire. Même à voix haute vous unir à lui sous l’égide d’un précepte ou d’une doctrine commune, c’est toujours le mettre mal à l’aise, il vous agrée avec gêne, parce qu’il craint les conséquences d’un enfermement où il se sentirait imprévisiblement tenu, incapable d’augurer, faute d’usage, ce qu’il risque à la fermeté d’une opinion et à sa cohérence ; il préfère demeurer toujours libre de changer d’avis. Et ainsi, pragmatiquement, ce qu’on peut demander tant qu’on veut : « Qu’as-tu fait ? » ; mais aussi peu que possible, sauf si l’on ne se soucie pas d’inquiéter : « Tu as fait cela pour cette raison ? » ; Cas particulier abondamment, mais nulle extension vers des remarques d’une nature générale.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
Publicité
Derniers commentaires
Publicité