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Henry War
26 octobre 2023

War, un certain rapport à la vie et au monde

Je crois qu’on discerne dans mes textes une étrangeté qui relève de bien autre chose que de la forme ou du style, qui n’est point chez moi, je l’assure, une ostentation dissimulatrice ou vantarde, que d’aucuns ont remarquée comme une singularité par rapport à ce qu’ils ont déjà lu, et qui se rapporte à une mentalité particulière dont, à force d’adoption, je ne m’aperçois plus toujours de l’exception. Je ne suis néanmoins pas incapable du recul provisoire propice à m’en apercevoir, et, si je manquais de cette faculté objective, il me suffirait probablement de lire les écrits des contemporains pour mesurer au moins une différence, sans parler encore de contraste. J’entends, comme on me le remarqua récemment, qu’il peut y avoir un bouleversement à me lire, et je l’entends d’autant que j’en vécus un moi-même probablement de nature comparable lorsqu’il y a environ dix ans je découvris Nietzsche. Je ne saurais pourtant, je crois, affiner mon analyse jusqu’à identifier ce qui est spécifique à mes textes par rapport à Nietzsche, non que je considère nos œuvres équivalentes ou similaires, mais je ne parviens pas à examiner en quelle innovation paradigmatique consisterait la découverte de War hors la connaissance de Nietzsche, notamment quelle distinction établir entre ces deux découvertes : j’ai le sentiment qu’un lecteur qui aurait lu Nietzsche ne trouverait pas tant d’étonnement à me lire, que je ne suis en somme qu’une continuation ou une inflexion de Nietzsche, mais je n’ai pas d’idée nette là-dessus, il ne m’est pas loisible de comparer l’impression édifiante que je reçus du philosophe allemand avec celle que je réalise peut-être sur certains lecteurs : je ne puis me placer à ce point en-dehors de moi-même et définir l’écart d’un sentiment de découverte que je connais pour l’avoir éprouvé avec un autre que j’ignore pour ne m’être jamais « découvert » avec la surprise soudaine d’un étranger. J’ai toujours vécu en mon esprit, et si je puis parler de moi et même deviner les autres, je manque de témoignages explicites et circonstanciés pour établir si la révolution qu’on ressent à me lire est exactement identique à celle que je ressentis à lire Nietzsche.

On verra si ce que j’en devine est de portée semblable ou distincte : je sais ma mentalité, j’ai assez prouvé ma faculté à deviner celle du Contemporain – cette phrase ressemblant à du Rousseau, je me repens de cette ressemblance –, et je me représente assez ma nouveauté et son choc. Je puis, je pense, décrire ce qui constitue, en la société où j’écris, mon originalité, et je le puis notamment pour en avoir souvent pâti, comme on s’en doute, pour les mêmes raisons dont je me doute que d’aucuns, découvrant ce texte, veulent aussitôt, et dès son titre, que j’en pâtisse aussi : ils confondent vanité et orgueil. Je ne me fais pas une fierté de ma relation à la vie et au monde, je n’ai aucune raison de m’en vanter et préfèrerais me conformer à l’avis unanime s’il était juste et si le Contemporain était généralement valeureux : comme je serais heureux alors de lui ressembler ! Mon esprit est l’état rationnel, logique, cohérent, de qui n’entretient pas de complexe ou de tabou, de qui n’est frustré par rien qui infléchisse ses pensées et comportement en fonction de ce qu’il ne peut pas obtenir et donc de ce qu’il n’ose vouloir, et je voudrais que chacun eût, quelles que soient ses opinions, la manière de franchise et de véracité omniprésente et saine qui me caractérise pour que je ne fusse pas si écarté, si tacitement paria. C’est l’espèce d’ostracisme que je subis, en somme, qui est une tare pour la société, ostracisme qui se décèle dès l’impression d’un scandale à l’abord de mes textes, oui mais je ne m’enorgueillis pas de la basique salubrité de mon esprit, m’inquiétant et désespérant plutôt de ce qu’elle ne soit pas plus répandue, et universelle peut-être. C’est hors des caractères faibles et viciés, loin des influences et des limitations, que j’évolue, mais la majorité écrasante voudrait rabattre les êtres curieux et ouverts comme moi, proprement amoraux, à la mesure uniforme des mœurs. Je n’entends pas mon anormalité comme satisfaction personnelle mais comme faute sociale ; elle ne révèle pas tant ma vertu qu’elle ne découvre le vice du monde ; elle ne fait pas ma hauteur, mais la honte du siècle. J’admets toujours ce que j’ai de bizarre non comme une force personnelle mais pour le regret d’où je vis, en sorte que la considération de mon originalité est pour moi d’abord source de mécontentement ou de tristesse. Autrement dit, ce que je vais écrire ici sur ma différence ne m’apporte aucune satisfaction : ce n’est rien d’autre qu’un constat psychosocial, scientifique, et qui comporte quelque chose d’intrinsèquement sinistre et défectueux.

Et ce qui heurte surtout en mes textes est ce ton impudique et ferme, immodeste et su, départi des conventions et des normes, qui n’observe pas d’étiquette et paraît, même sans malice, outrepasser des usages et des mesures. J’ai l’air de me faire un principe de m’opposer à nombre de politesses, de contrarier des morales, de choquer d’emblée par postures et notamment par une conscience tacite de ma valeur – on croira par exemple que le titre de cet article induit une supériorité proclamée. C’est parce que je ne m’ignore ni dans mes défauts ni dans mes qualités, ni dans mes connaissances ni dans mes lacunes, ni dans ma mémoire ni dans mes oublis, que je suis entier, intègre, net de dissimulation. Je révèle sans fard mes lumières, et le mauvais lecteur néglige combien j’ai par ailleurs signifié mes ombres parce qu’il veut donner artificiellement de la cohérence à son manichéisme de la vanité : en vérité, je suis éhonté parce que je ne me sens rien à celer. La manière dont j’exprime que mes pensées sont inédites, que je n’ai jamais rien lu de tel, que c’est la raison justement pour laquelle je publie tel morceau, à laquelle on prête la vantardise de ceux qui exagèrent leur mérite, ne signifie en vérité rien d’autre que : « Je n’ai rien lu de tel mais je n’ai peut-être pas assez lu, m’adressant à des gens de mon stade qui pourraient eux aussi avoir manqué à lire cette réflexion. » Et si je ne mentionne pas l’humilité de mon apport, c’est parce qu’elle est évidente, qu’elle figure en maintes modalisations, et que je n’ai prétendu nulle part être génial, au contraire, mais je ne me retiens pas d’avancer ce que j’ai trouvé avec la force au moins de celui qui a trouvé par lui-même, sans plagiat ni références.

C’est aussi la puissance de la franchise sans présomption ni illusion, cet esprit que je promène sur tout individuellement qui, probablement, surprend et aheurte. L’indépendance me guide, et je ne me fie pas facilement, de sorte que je n’approuve aucun avis que je n’ai d’abord vérifié, que je n’adhère d’office à personne, que je n’accepte nulle assertion même alliée si je ne l’ai mise à l’épreuve, et transmets ainsi souvent le sentiment de tenir à ne pas m’accorder ; c’est pourquoi on me trouve obstiné au doute, particulièrement les gens habitués à reposer leurs certitudes sur des références, sur des titres et des majorités : on croit que c’est « par principe » que je m’oppose, on me juge d’emblée l’intention grincheuse, on n’a jamais rencontré d’homme qui se place à côté des opinions « universelles » sans en être un détracteur. On suppose que je brise au marteau tout l’antécédent humain, qu’en somme on ne peut pas parler avec moi, que je discute en l’absence de socle commun, tandis que je me contente de ne pas tenir l’antécédent pour nécessairement vrai. Je ne suis pas absolument iconoclaste, et l’on trouverait, si l’on n’était pas tant attaché à vouloir se scandaliser pour passer à autre chose, que je suis même en général d’accord : et comment pourrais-je seulement me faire comprendre, avec sémantique et syntaxe, si ce n’était pas le cas ? Seulement, ne respectant pas d’autorité, je ne me sens obligé de déférer à personne, et j’inspecte au préalable. Je ne crois ni ne crains personne ; ceci mis avec ce que j’ai expliqué précédemment, on comprend mieux d’où je tire ma confiance et mon élan : comme je n’ignore pas où je pèche, que je ne me le dissimule pas, tâchant de m’en corriger si possible et si je le juge opportun, puisque j’exige de chacun l’explicitation que j’impose à ma littérature, je n’ai qu’à répondre à mes contempteurs que sur tel sujet je suis ignorant, et ils concèderont que je n’ai pas prétendu en savoir plus que je n’ai écrit, de sorte que leurs poursuites ne trouvent aucune prise – je suis en quelque chose immortel. J’ai pris le parti loyal de ne jamais mentir à me faire passer meilleur que je suis, et c’est ce qui m’autorise à ne pas taire mes vertus ni ma sensation d’avoir rencontré en moi ou en autrui une pensée d’un mérite supérieur – supérieur, du moins, à l’échelle de mon expérience. Et évidemment comme je me défends de publier ma stupidité, on suppose stupidement que je ne publie pas tant mes pensées que ma vanité – j’ai pourtant souvent écrit, quoique encore avec une certaine pertinence, sur mes défauts. Et ce qui insupporte peut-être davantage que les malintentions qu’on m’impute, c’est que je n’ai même pas de vices cachéspar lesquels on pourrait m’atteindre en me confondant.

Mon œuvre, l’assomption pleine d’un homme qui, sans redouter les regards d’autrui, s’ambitionne toujours davantage au sommet de soi, est une certaine et étonnante célébration de la vie, issue de qui ne veut rien laisser, rien gâcher, rien tolérer ; célébration de la vie de soi, de la vie personnelle, de la vie pour ce qu’elle a d’individuel et distinct ; célébration dévouée à des objectifs de la vie et non à sa définition seule, de la vie égoïstement rapportée au profit de soi telle qu’on peut l’admirer également chez autrui, de la vie généreusement réduite à ce qu’on aime dans la vie de chacun, de la vie qui se moque de mourir sans les attributs de la vie, qui se désintéresse de vivre sans les apports de la richesse espérée, qui ne veut perdre le temps dédié à la vie et qui, en cela, place au sommet de la vie liberté d’agir et efficacité d’être ; célébration de la vie qui estime négligeable et dérisoire la vie sans les valeurs que l’égo y place : une vie pour la vie, pour la performance de vivre, fidèle au haut rendement de la vie, et, par là-même, une vie impavide, dédiée inflexiblement à un style de vitalité, et qui court vaillamment à la mort chaque fois que la vie en cette essence lui paraît atteinte, parce qu’il n’y a pour soi rien d’autre, rien de meilleur et de plus élevé. Mes textes portent à la fois cette passion et ce désintéressement frappants : ils éblouissent d’enthousiasme et d’ouverture, mais recèlent par contraste l’obscurité que leur lumière couvre ; ils suggèrent la désespérance de ce qui ne mérite pas de vivre, de tout ce qui est mort vivant, au sein même de leur superbe et triomphante gaîté. Cette ambiguïté, je crois, crée un peu d’inconfort à me lire : on découvre la puissance des Photons en s’approchant du Ciel, et l’on s’aperçoit en négatif que la réalité courante est d’ombres et de poussières.

Je n’ai pas peur de tout juger, l’idéal de la vie humaine étant l’utilisation optimale des organes humains de la vie, parmi lesquels cerveau et sexe. À cette aune constante, la confiance en soi et le scepticisme en autrui, je ne redoute rien, parce que je sais ce que je vaux, les plus et les moins : je n’ai nulle appréhension du jugement-retour, et j’en suis d’autant libre. Une insulte qu’on me lance, si elle est vraie, me trouve disposé à l’accepter et à en féliciter mon adversaire pénétrant, à l’en admirer même sincèrement, mais réciproquement je me crois tenu d’être ainsi, et s’il y a lieu d’accuser, pourquoi m’en sentirais-je circonspect ou timoré, n’ayant rien à perdre, pour autant que je ne doute pas de la justification de ces insultes ou que mes critiques soient exprimées fidèlement avec ces doutes ? Quelle blancheur ! on entend chez moi l’air irrévocable de la Vérité, sa poursuite inexorable et son ton irréfragable, la jouissance de savoir, de trouver, d’apprendre, de renverser des mensonges et des feintes ; ma prose est la mélodie fluidement sérieuse et formidablement badine de la grande et sûre Justice. On doit y rencontrer du premier coup une différence troublante, parce que la Science est son objet pur, parce qu’elle s’affirme objective et départie de l’influence du pluriel, parce qu’elle n’abandonne rien à des dogmes ou des proverbes, parce qu’elle est la seule et la dernière sans intention partisane, parce qu’elle ne part pas d’une thèse dont elle cherche à force d’insistance à se persuader et à faire des émules. Avec un esprit de quête et d’effort, je n’ai aucune des complaisances du Contemporain qui se sait, lui, si déficient et qui ment perpétuellement pour le cacher : je n’ai pas de masque, j’ai la lucidité gaie, je sidère par ma certitude fondée en raison  et qui jamais ne présume le mal ou le bien, je ne m’appuie point sur des convictions, je me sens tenu en toute chose – la moindre – à n’être d’accord qu’après un véritable examen : je blesse et annule ainsi presque tous aphorismes et tous dictons qui servent en général d’axiomes aux ouvrages « savants ». On est dérouté par la pensée irritante de mes articles en ce qu’elle n’admet guère de présupposé ou de postulat, ma réflexion dérange parce qu’elle semble perpétuellement hors d’atteinte, qu’on n’y applique pas l’objection facile qui permet comme pour tout autre de l’annuler ; on est frustré, pour une fois, de ne pas pouvoir, en peu d’observations, objecter à l’auteur le parti d’où il subjectivise, et puis dénier ainsi son attention au texte et vivre négligemment, distraitement, comme on a l’habitude. C’est parce qu’on ne me réfute pas d’un coup que j’embarrasse. Je ne suis, solitaire, et d’aucune école, d’aucune coterie, d’aucune tendance d’où l’on pourrait aisément reléguer ma réflexion ou ma philosophie comme caricatures ou comme adulations.

Mes textes portent de façon marquée la disposition franche et lucide que les inhibitions de toutes parts, surtout sociales, ont rendue rare et disparate, moralement intempestive. Je mets du temps à savoir, alors je dis ce que je sais, et l’on entend que je dis que je sais, je l’explique sans modalisation excessive, prudente ni obséquieuse : mes textes se départent des formes de lâcheté, bientôt on ne se souvient pas d’avoir lu des articles à la fois si justes et si peu abondants d’exemples et de titres, on n’a jamais trouvé si vrai un propos si dénué d’artifice et de volonté de séduire, en quelque sorte si socialement déplaisant, on n’en garde souvent que l’impression d’un homme qui a osé prétendre savoir. On tend à fuir dès l’abord ce que j’écris, parce qu’aux habitués des convenances jugeant selon les critères grégaires de large adhésion, on trouve qu’il serait scandaleux qu’avec si peu de respect des usages je pusse avoir raison, disparate, franc, sans respect, impavide, fort, vivant, objectif, irréfragable, solitaire et sans sympathie. C’est tout cela qui me bouleversa à la lecture de Nietzsche : l’idée qu’un homme puisse l’emporter contre des siècles, négligeant d’un revers d’esprit le supposé antérieur jusqu’à condenser l’intégralité d’un siècle nouveau en lui-même. J’ignore si j’y ai atteint : toujours ai-je reçu de lui l’audace et la méthode. On peut enfin relire à travers moi l’écriture décomplexée d’un individu dans sa meilleure hauteur.

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