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Henry War
17 novembre 2023

Un best-seller de développement personnel

Un livre à succès classé au genre du « développement personnel » recommande toujours de rester comme on est et de s’accomplir dans son état donné, en ne se complétant que du livre qui s’efforce à donner le sentiment d’une révolution spirituelle. Il ne s’agit jamais de se corriger mais de persévérer et s’accomplir en sa forme existante, non de se contraindre ou diriger mais de se libérer en se faisant plaisir ; non de se compléter mais de s’enferrerOù tu vas, tu es ainsi que Et tu trouveras le trésor qui dort en toi : autant d’ouvrages célèbres de la sorte qui, jusqu’en leur titre, sont des stéréotypes de cette influence inoffensive. La leçon consiste toujours en façon de lâcher-prise c’est-à-dire de confort, et d’introspection c’est-à-dire d’égocentrisme : ainsi la « méditation de pleine conscience » peut-elle se résumer (comme toute méditation) à ne plus penser ou à ne penser qu’à une chose à la fois (c’est un repos, presque une sieste), et la « loi de l’attraction universelle » à se mettre au diapason des énergies d’univers sans y résister (sentir le fluide vital, c’est largement éviter de réfléchir : ne pas infléchir cette « électricité » de vie par le flux parasite d’une pensée contradictoire vue comme tension – c’est accepter, se résoudre, s’abandonner au penchant en l’admettant le « tout »). Il faut surtout ne plus s’en faire, accéder à l’agréable détente cosmique, ne se préoccuper que du bien-être, se rééquilibrer dans l’insouci, envisager le monde comme une somme de peines à contourner, pour cela s’inspirer de religions et de mysticismes qui se targuent de rendre l’existence un passage, continuer à imputer à autrui les défauts de la société, et se considérer comme un exemplaire d’humanité meilleure et enfin « empathique ».

Bien entendu, toutes les valeurs négatives sont conservées telles, particulièrement ce qui s’apparente au difficile, mais rejetées hors de soi, extérieures, nettement écartées : ainsi le mal ne change-t-il pas de camp, il reste là et n’est plus ici ; le livre conforte, rassure, apaise, et use pour cela du langage accessible qui n’humilie pas – vocabulaire simple, phrases courtes, fluidité des structures, multiplication des pensées-proverbes et ton amical de douce sympathie –, suivant la forme d’un essai qui n’est pas la démonstration d’un inédit mais une accumulation de clichés présentés comme expérimentaux que le lecteur intègre sans travail. L’illusion d’un mouvement d’esprit, où les lapalissades communiquent l’impression de vérités à prendre en notes, où les idées-faites rejoignent les préjugés acquis de manière confondante, où toutes relations de causes à conséquences sont raccourcies avec enfantillage et complaisance mais qui évoquent la vague idée de scientificité, conduit le lecteur à l’abêtissement où le texte s’avale bien et les pages se tournent vite, ce qui est le propre d’un livre si imbécile qu’il n’est nécessaire d’y relire aucune phrase. L’étourdissement gagne, la petite aventure inonde, le pseudo-événement précommandé arrive, l’éponge confiante se laisse imprégner : le contradicteur venu après cela fera la sensation inacceptable d’un sophiste enragé ou d’un rustre qui n’a pas consenti à ces saines révélations.

C’est une béatitude autopersuadée qui ne tolère pas d’être interrompue.

Ces ouvrages constituent des philosophies parfaites pour ceux qui s’aiment comme ils sont, qui ne veulent pas changer, cependant qui tiennent à se donner le sentiment de s’instruire sur des choses spirituelles et d’en apprendre, qui ne supportent pas le dérangement de ce qu’ils n’ont pas cherché à savoir, que l’effort rebute, qui aspirent surtout à s’entendre confirmer que c’est leur environnement qui est problématique, qu’autrui réclamant contre eux ou leur causant un désagrément est un pervers-narcissique ou produit-de-la-société-de-consommation, et qui se croient fondés à arborer après leur « initiation » une vaste posture d’ascendant sur le monde, pour vivre mieux et se croire en la sagesse, pour dédaigner les non-initiés selon leur ésotérisme de pacotille.

C’est un matériau parfait pour le Contemporain, paresseux et qui ne veut endurer aucun reproche, sinon d’être perfectionniste, d’accorder trop d’importance à ses défauts, de vouloir trop agir avec efficacité, c’est-à-dire, en somme, de fort désirer s’améliorer. La manière la plus définitive d’éliminer ses soucis, c’est de parvenir à admettre non seulement qu’on n’en a pas (ou qu’on n’y peut rien faire), mais surtout qu’on n’en est pas un : après ces livres, on ne lutte plus contre son importunité, on l’accepte. Les adeptes de tels ouvrages sont des fardeaux pour leur entourage : tout ce qu’ils font mal désormais n’est plus leur faute, et s’ils sont confrontés à leur incompétence, ils mènent dans leur coin quelque routine de toqués qui les déculpabilise, diverses formes de méditation ou de gymnastique, tout en ruminant l’injustice d’un monde qui ne leur ressemble pas. Il est vrai que leurs lectures les ont rendus en quelque sorte immortels : l’immortalité est le propre de ceux qui, inaccessibles aux jugements, sont devenus incorrigibles. On ne les atteint certes pas, et c’est parce qu’ils ont trouvé la méthode infaillible pour échapper à la réalité. Ils sont comme des croyants quand ils doivent souffrir une situation pénible : ils prient ou ils dorment. Ils n’existent plus en présence du problème que vous devez résoudre sans eux. Ils ont déserté le problème, parce qu’ils ont décidé qu’ils n’auraient plus, eux, de problème, qu’ils n’étaient pas partie intégrante du moindre problème, que les problèmes étaient derrière eux, avant le temps de la « révélation » : leur béatitude désormais ne les identifie que comme des solutions. La méthode excellente pour se sentir merveilleusement sans problèmes est ainsi évidemment de les fuir : il faut les neutraliser à la conscience en les ignorant, leur négation est la simplification ultime par laquelle le problème disparaît, ce qu’on peut bien faire en sortant du monde le temps qu’autrui le résolve à votre place ; rien n’est plus compliqué, il faut juste ne pas s’en mêler. Ces « philosophes » sont les grands pratiquants du congé-maladie : ils quittent le travail au commencement du problème, et, au terme de leur retraite, y retournent, découvrant alors que tout va bien de nouveau.

Dans Art ? une pièce de Yasmina Reza, Marc dit à Yvan : « Si c’est grâce à lui que tu es revenu tendre ton autre joue, tu peux le remercier. Il a fait de toi une lope, mais tu es content, c’est l’essentiel. » : c’est à peu près l’effet lénifiant des ouvrages de développement personnel selon lesquels, pour que le lecteur soit moins angoissé, on lui apprend à être moins exigeant au lieu de plus performant. Leurs auteurs sont des coachs qui ne peuvent généralement se prévaloir d’aucune réalisation personnelle, d’aucune création concrète – ils n’ont rien « fait » de leur vie à part se « développer » et tenir des conférences rentables –, et l’on finit souvent par découvrir qu’ils sont peu épanouis et que leur fortune les a éloignés de la tranquillité qu’ils proclament. Ils affectent aussi à l’envi de se sentir bien en présence d’admirateurs, et je soupçonne que ce soit pour gagner plus de cet argent qu’ils déconseillent toujours de chérir : au moins le médecin d’hôpital, qui est en réalité fort inhospitalier comme on en fit tous quelque fois l’expérience, ne feint pas d’avoir plaisir à constater vos fractures et vos cancers. C’est peut-être à cela d’ailleurs qu’on reconnaît un guérisseur, justement et logiquement : vous êtes malade ergo cela lui déplaît en tant que docteur pro bios, il s’inquiètepour vous, il lui répugne d’être en présence insalubre. Seul l’auteur de capucinades anodines peut goûter d’être parmi ceux qui recourent à ses services thérapeutiques : c’est que ces gens assemblés vont en fait très bien et qu’il n’y a aucune douleur à y voir pour désespérer de les soigner, sinon celles, mais insensibles – et je doute que l’auteur ne les perçoive tôt –, que font à qui perce les êtres la crédulité et l’imbécillité humaines presque universelles.

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