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Henry War
15 mars 2021

Dans la défaite

Si j’ai dans la sévère défaite bien de la mauvaise humeur, je n’y ai jamais de mouvement d’injustice dirigé vers l’extérieur : c’est moi, moi tout entier qui porte ma disgrâce, et je n’en veux qu’à moi-même d’être inférieur, je rumine mes insuffisances, on pourrait croire que je suis rancunier mais cela n’atteint pas les autres. Au premier long revers, je me dégoûte et j’exige sur-le-champ de comprendre l’origine de mes failles si je mesure qu’il a fallu plus qu’un hasard pour que j’échoue. En cela, tout jeu présente chez moi une dimension intérieure terriblement sérieuse ; je « n’accepte » pas de perdre au sens où l’échec m’inspire une volonté opiniâtre d’en sortir – je ne me résous pas, ne relativise pas ; l’excuse de mon peu d’expérience par rapport à mon adversaire ne me suffit pas : je sais ce que je vaux, et je suis conscient de ma défaillance quand, par occasion, j’ai été un rival en-dessous de ma normalité. En toute épreuve et contre n’importe qui je crois pouvoir du moins imposer une « certaine résistance » ; c’est en quoi je sors abasourdi et proprement choqué d’une partie où j’ai été nul. Un effarement me saisit, et je sens combien mes fourmillements d’inconscience – c’est toute une tectonique qui m’habite – investissent mes esprits et me laissent penaud. J’ai des stupidités, des blocages sourds comme des absences ; une force souterraine, pareille à un rêve ne sachant remonter au su, écartèle mon attention, abîme ma tranquillité, brise le suivi de ma vigilance, de mon travail ; et si je m’efforce à lutter contre cette stupéfaction stérile par l’effort, la cogitation d’incomplétude m’emprisonne, et je préfèrerais attendre que cette humeur pesante, que ce spectre envahissant, soit passé, pour m’adonner à une œuvre à laquelle, lointainement, je me sens indigne ou déplacé. Une errance m’occupe dont un sommeil en général me délivre, parce qu’au matin – ou un peu plus tard – je trouve au moins une petite solution, une piste. D’ailleurs, c’est peut-être singulier ou universel au contraire, j’échoue rarement à un même exercice après cette expérience de « récupération », même sans avoir trouvé de compréhension claire à mes échecs, comme si l’inconscient avait fait son effet et m’avait corrigé – je voudrais bien savoir s’il s’agit d’une disposition répandue.

L’activité la plus a priori insignifiante, dès lors que je m’y essaie, peut induire ce type de « traumatisme » : j’ai participé à de la pétanque tout à l’heure, j’ai très mal joué à peu près constamment, et je ne me sentais après cela plus que le désir de lire, incrédule et confus, rageur d’incompréhension, abêti de fureur – car lire même un texte difficile ne me réclame, en rapport avec l’écriture, qu’un effort assez infime. Alors pour me faire violence et jugeant plus productif de convertir mon embarras en notes, j’ai produit ce court article d’examen personnel dont je sors moins insatisfait et revenu de cette « opacité », de cette « pitié blanche » que je provoque et qui poursuit ma propre estime : j’ai fait, bien que, peut-être, cet effort d’écrire, malgré tout plus facile pour moi que pour la plupart, n’est qu’une façon lâche et aisée de me reforger une sympathie et une considération de moi-même – c’est vraisemblable, c’est fort plausible. Mais enfin, me répondrais-je prenant la voix raisonnable d’un second qui n’est pas moi pour prendre ma défense, valait-il que je retourne au terrain avec mes boules, que je m’entraîne encore une ou deux heures pour corriger ma position et gagner en régularité, tout cela pour me refonder une estime de bon aloi ? Au prix de ce temps perdu, toute occupation ne devient-elle pas d’un investissement effroyable ? Un troisième homme-moi ne le sait pas : il abandonne les choses qu’il juge, peut-être par faiblesse, de moindre importance, moins honorables, mais sans parvenir à démêler si cet article égocentrique est au fond beaucoup moins futile que d’exercer mon corps – et mon esprit – à me servir d’une masse en un geste parfait. Je ne crois pas, à vrai dire, cette faculté aussi dérisoire qu’elle peut sembler à première vue ; on sait bien que je ne néglige point le corps – précision, acuité, vitalité –, et encore moins au prétexte que j’y serais d’emblée moins apte, parce qu’en mon intégrité cela me ferait l’impression d’une compromission et d’un vice de la pensée de ne me préoccuper que des domaines où je suis déjà bon

Mais chut ! ne te moque pas de ma casuistique, petite bête rieuse ! Tu ne peux te figurer à quel point le diable et la faute s’immiscent peut-être en nous par de tels détails, si insignifiants en apparence et qui nous investissent par degrés à travers cette courte porte ! Mépriser par système ce qui nous fait défaut, c’est donner une excuse par exemple à tous ceux qui ne lisent pas faute d’y être exercés et qui n’usent leur esprit qu’à des fins pratiques et conventionnelles : la différence n’est pas si flagrante que tu crois, ils se dégoûtent eux-aussi de nos entraînements d’esprit qu’ils jugent une distraction vaine, et ils s’estiment mieux à faire que d’y « perdre leur temps ». Il n’est pas dit que nous serons des spiritualités dénuées d’une bonne maîtrise et d’une ferme connaissance de notre physiologie, au même titre qu’ils se vantent de pouvoir courir longtemps et qu’ainsi ils se « vident la tête » pour asseoir sur nos réflexions un dédain et sur nos personnes un sentiment de fatuité : or, nous saurons rivaliser pour les désespérer que nous soyons assez bons aussi en leur matière. Nous ne devons point élire ou négliger sur le critère de l’habitude et de la facilité, ou bien c’est à désespérer de notre faculté à nous améliorer – en quoi en toutes choses de l’intelligence et du corps il faut rechercher l’effort et la difficulté, c’est-à-dire, à défaut de victoire, quelque chose comme sa propre mesure de noblesse… ce qui, à la pétanque, se traduit par : « ne pas être fanny » ! Arg !

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