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Henry War
5 avril 2021

Le Conquérant sans amour

J’imagine la formidable puissance d’un homme qui renoncerait d’évidence à l’amour, comme une pitié démontrée, comme un mépris totalement justifié, avec le superbe dédain qu’on jette à des attributs d’esclave, d’un scepticisme même désintéressé, épousseteur des miettes que le monde perpétuellement transporte sur son épaule galonnée d’honneur et d’audacieux succès. Sur l’or inaltérable de sa pensée d’acier, une noble convoitise n’a pas cessé d’œuvrer où l’amour n’est rien, négligeable et commun, facile, atterrant : nul ne peut détourner cette incarnation de force de sa dignité, de sa fierté antique, de sa voie céleste dont quelque étoile d’amour le ferait mièvrement tomber en des fanges et en des langes. L’amour, sait-il sans contredit, est l’enfance boueuse de l’humanité, sans hauteur ou déchue, une stagnation de sables immobiles, émouvants pour femmes, en l’immaturité de l’espèce, où s’enfonce l’idiot-du-cœur en influences suaves le condamnant à copier des foules. Il n’est, lui, qu’esprit autonome et intègre, opaque et dense, un esprit d’armure forgée, un rond bouclier inexpugnable, solide et impénétrable aux suggestions : jamais il n’entendit parler d’une valeur qu’il n’eût aussitôt saisie par le raisonnement ou rejetée impitoyablement : il ne s’empare point de ce qui leste, mais il s’accapare tout le reste avec une vitale férocité. Ce surhomme est un dieu : rien ne le retient, ses regards élèvent ou annihilent. En impavidité inaccessible à autrui, il a supplanté de loin tout ce qui se suppose une conscience ou une âme : il lit, lui, directement dans la « conscience » et dans « l’âme », et les résout par la vérité extrasensorielle et dépassionnée, intentable et indomptable, inaltérable, immaculée. Son dogme n’est pas l’amour, c’est l’antipode de l’amour institué, qui pourtant n’est pas la haine ; son unique critère de référence, c’est lui-même ; son seul idéal, c’est ce qu’il peut faire de lui-même ; il n’a pas besoin de la mesure commune pour sentir par où il se distingue et se sublime ; il ne nécessite aucune femme d’adoration pour savoir ce qu’il mérite ; sa boussole intérieure le prévient, par vertiges occasionnels au-devant du précipice, du risque de déchoir ; il ne lui faut que se hisser sans cesse au-delà de lui-même ; il ne connaît pas de limite à la grandeur où il peut et veut atteindre et ne se sent nul intérêt de regarder en bas quelque ver nu réclamant pour sa rassurer que sa bonté découle d’un sacrifice. La dureté intransigeante de ce guerrier-empereur le rend indifférent aux proverbes, aux morales, et à tout ce qui, plus généralement, figure une transmission – automatismes, habitudes, rituels, et toutes autres formes de religions. Il est un, il ne présume jamais, ni de la qualité d’un sentiment pour ce qu’il porte un certain nom qu’en son siècle on continue d’honorer, ni de la nécessité de tous les êtres qui l’environnent et dont la croupissante multitude lui donne de multiples motifs raisonnables d’exécration. Sa préférence va pour ceux qui l’aiment, parce qu’il y a au moins de la vérité à l’admirer, mais il ignore la valeur d’aimer, n’y rencontrant en pensées qu’obstacles à ses épanchements libres, il aspire à ne dépendre encore de personne, et il ne sait si l’amour n’est pas, de toutes les prétendues vertus humaines, celle qui a le plus à voir avec la décadence. Son esprit implacable a passé il y a longtemps la compréhension de l’amour, il a vu et entendu, il a considéré et assimilé l’amour comme une information, et il a enfin conclu, en son jugement d’extrême impartialité, que cette information ne lui est d’aucun apport positif ou négatif ; il la conserve de côté comme tout ce que l’on a appris et qui, pour l’heure, ne sert à rien ni en bien ni en mal – et c’est pourquoi une excellente femme qui viendrait lui témoigner son amour ne lui procurerait pas le plus petit tressaillement, qu’il la toiserait de toute sa hauteur, imperturbable, avec l’impassibilité ennuyée de qui envisage déjà des conquêtes dantesques, et qu’il traverserait ainsi sans méchanceté de son foudre de plomb le pauvre visage éploré de cette belle figure humaine, humaine, ô trop humaine pour lui.

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