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Henry War
16 avril 2021

Une grande révélation du Covid

Tout à coup, comme un grand éblouissement, il m’apparut qu’un des grands avantages de ce mal qui n’avait été à peu près qu’emphase et que prétexte à valoriser des âmes exiguës, c’était la façon dont elle révélait aux gens d’un peu d’intelligence et de recul, aux citoyens du bon sens éclairé, aux mentalités longuement aveuglées par le traditionnel et bonasse bénéfice-du-doute comme une affection déformante, combien ceux qu’ils avaient toujours supposés leurs inconditionnels « semblables » leur étaient en fait étrangers et disparates, combien il leur était foncièrement impossible d’avoir une simple conversation compréhensive et constructive avec la plupart de leurs voisins et compatriotes, combien la raison – cette raison essentielle qu’ils avaient cru unanimement distribuée quoique peut-être assez mal répartie – achoppait à traverser la barrière de leur obtusion et de leur inculture forcenées, et combien, en somme, les êtres de discernement et de logique – sans même parler de talents ou de génies – étaient si peu nombreux en cette décadence monstrueuse soudain dévoilée, l’esprit d’autrui s’avérant en grande majorité inaccessible aux lumières de la réflexion autonome et véritable, incapable de tenir un discours clair fondé sur des échelonnements explicites et communicables. Ce qui était arrivé, c’est qu’à la faveur d’une assez artificielle crise s’étaient émancipées les amertumes et les mauvaises fois les plus laides et les plus grises, les plus retorses et les plus balourdes, comme la sortie d’une sombre et crasseuse duplicité tapie dans un silence qui jusqu’alors avait moins caché un respect qu’une aigreur vile, et cette mise à nue s’était opérée non même parce que c’était une crise en ce sens où la panique aurait forcé à adopter des attitudes fourbes et à tenir des propos hors de contrôle, mais parce que le sentiment où cette gigantesque horde de misérables naguère refoulés s’était sentie réduite de devoir se défendre avait provoqué, comme font les chiens acculés et qui se croient menacés, des réflexes hargneux de mâchoires crispées et jappant ignominieusement contre des questions tendues et des paumes ouvertes. La trop innocente lumière qui avait plu de regards francs et instruits, doucereux et largement cillés, tombant autrefois sur les déguisements de la difformité, avaient longtemps rehaussé ce croupissement atroce de leurs heureuses lueurs, les lueurs d’intentions mélioratives, les lueurs qu’une bienveillante naïveté répand toujours sur son entourage en le faisant paraître pathétique et pittoresque c’est-à-dire beaucoup plus coloré et plus beau qu’en réalité – la réalité pour eux n’avait pas tant importé que la bonne intention. Et voilà qu’un jour, sur cet environnement enjolivé où la pensée même s’était accoutumée à des faussetés, apparurent soudain les crocs exposés, les chairs rougies, les menaces et les cris, les rugissements les plus aberrants, la bestialité la plus rustre et incommodante, l’animalité derrière l’homme ou même faisant l’homme tout entier, découverte sensationnelle, incroyable, d’une déception inouïe et d’une violence immense. Le nombre surtout : partout à la télévision, dans les journaux, sur Internet et dans n’importe quel réseau social, l’incommunicabilité permise par l’infâme crétinerie de tous était manifeste et prégnante, une multitude d’imbéciles dénichés de tous les coins de la société, sans exclusion de milieu ou de hiérarchie, exacerbaient des peurs idiotes, préconisaient des foutaises, arboraient éhontément leur absurdité et leurs inaptitudes à penser, toutes manifestations qu’on n’aurait pas crues possibles tant on avait présumé que de pareilles interventions auraient dû universellement les confondre au regard des élémentaires facultés humaines à distinguer les intelligences ; tous ces bavards étaient incapables même de se justifier, d’apporter des démonstrations persuasives et crédibles, de se rappeler rien que la méthode d’une preuve transmissible et honnête – après un quart d’heure de péroraison on les réfutait en dix secondes et l’on constatait, horriblement, que la réplique pourtant irréfragable ne convainquait personne ! –, d’indiquer par quelque témoignage de sapience, par le trait rassurant d’une rationnelle conformité, que quelqu’un savait encore lire des livres exigeants, grognant et aboyant de la façon la plus aveugle et désordonnée, geignant des plaintes exagérées, en appelant plutôt qu’à des valeurs à des passions et des proverbes qu’ils mélangeaient avec elles, réclamant sans probité avec l’autorité illusoire qu’ils s’attribuaient du seul fait de leur nombre, tempêtant sans mesure contre des questions saines et de simples hypothèses, tout prêts à rétablir d’anciens droits atroces pour constituer un « bien » manifestement illusoire et temporaire. Plus personne n’usant d’un langage tempéré et juste, d’un exemple vérace, d’une profondeur, d’un idéal, dans aucun des camps ; une folie, une folie omniprésente, une folie dans toutes les sphères, des politiciens ridicules, des scientifiques idiots, des collègues humiliés de ce qu’ils affirment, tous consternants, tous dépassés par les nécessités de l’argumentation et du savoir. Il était devenu inévitable pour les gens avisés, pour les gens de l’arrière-modernité, pour les gens intempestifs qui conservaient leur faculté d’observation et de critique, de conclure à cette folie ambiante, à cette grossièreté morale, à cette bassesse mentale, de s’apercevoir de ce grand fossé des esprits qui s’était graduellement creusé et installé sans qu’il eût osé jusque-là, surtout par appréhension d’orgueil, le reconnaître, de la séparation ontologique, fondamentale, essentielle des êtres en deux catégories devenues si flagrantes, définitives et distinctes, parce que deux races d’êtres humains, désassemblés lentement par le confort et par la paresse, avaient fait radicalement sécession. Ils découvrirent alors, sans plus pouvoir l’excuser cette fois, sans plus l’assaisonner de la mièvre tendresse à laquelle une patience désintéressée les avait habitués à force de quiet catéchisme de tolérance tant ce constat d’une âpreté inédite prenait en l’occurrence une forme violente et désagréable, ce large fossé, ce gouffre opaque et vertigineux, cet astronomique abysse de la discrimination intellectuelle des gens, le mur lourd et épais qui s’était consolidé depuis des décennies et peut-être depuis des générations entre eux sans qu’on pût jusqu’alors le discerner avec autant d’évidence. C’était là, c’était là évident, là depuis longtemps – certains se souvinrent qu’un Henry War en parlait déjà dans certains articles qu’on ne voulait pas croire –, mais nul sujet d’une nature suffisamment importante à leurs yeux n’avait obligé les hommes à prendre position les uns contre les autres, à sortir ainsi de leurs cauteleux retranchements, à se débusquer nus, il n’y avait eu que des débats détachés sur des questions plutôt abstraites, et l’on pouvait encore croire, lorsqu’avant cela les gens s’échauffaient, que ces controverses ne devenaient féroces qu’en raison de ce que leurs enjeux étaient insignifiants. Mais quand soudain tombèrent ces excuses, quand le rideau s’affala sur la scène des usages et des conventions, quand hommes et femmes, naguère spectateurs mondains, se mirent à hurler des accusations vengeresses ou à emmêler des stupidités ostensibles dont ils ne se rendirent jamais compte, il était par trop difficile soudain de croire ce qu’on entendait, par trop impossible de s’illusionner en se disant qu’ils ne le faisaient pas exprès, par trop lourd et perturbant de constater combien à défaut d’être raisonnés ils tenaient à s’enferrer dans leurs erreurs les plus manifestes dont les démentis les plus affectueux les laissaient vociférant et hostiles ; alors, une trémulation vous gagnait, une intime honte vous prenait aux tripes, c’était la pointe de votre singularité insue qui vous remuait les tréfonds, car il n’était plus entendable que vous appartinssiez, vous et eux, à la même engeance, à une semblable condition, à un caractère commun, à une humanité pareille en somme, même vos amis accordés avec vous déclamaient des bêtises aliénantes, même vos camarades débitaient contre vous d’inlassables âneries avec un ton irrésistible de donneurs de leçon ; des capucins injustes et terrifiants, sans limite, portés non par des pensées mais par des passions abâtardies de morale nulle, décidaient contre le monde entier et sans son consentement des mesures fort restrictives ; vous deveniez tout à coup victime d’un parent qui ne savait plus que vous insulter sans relâche au lieu de posément répondre à vos remarques posées, et le pire en tout cela était que chacun d’eux, d’évidence, délirait, qu’une bave vous semblait monter aux lèvres et au cerveau de tous ces intervenants belliqueux et enragés, nul ne montrait d’aptitude, face à un danger dont l’imminence était des plus douteuses mais qui s’était mis à paraître à tous un péril extrême, à vous écouter et à vous entendre, toutes idées tournaient en rond, vous eussiez voulu représenter un argument à quelqu’un qui ne faisait plus qu’improviser des invectives et que répéter maximes et préjugés sur l’autorité et la santé, chacun alentour devenait une sorte de machine sourde, automatique à recracher en cycle des antiennes et des aphorismes, une sorte de programme insensible à tout, retournant à des opinions déjà réfutées que sa conscience et sa mémoire avaient perpétuellement oubliées, modifiant sans cesse l’ordre et la priorité de ses raisons pour vous involontairement égarer, lançant quantité d’injures à la première impasse, vous lâchant tôt ou tard et d’une façon totalement inattendue le fiel ultime et implacable que vous n’étiez pas compétent pour rien dire, jetant avec insolence et ironie cruelles le souhait à peine masqué que vous fassiez bientôt l’expérience de ce mal qu’il jugeait affreux et meurtrier, cinglant et mordant au lieu de discuter avec paix et honneur, avec sens et dignité, avec hauteur et écoute, fermant totalement son esprit à ce que vous pouviez vouloir lui communiquer, vous niant, oui, pire que tout, vous niant comme des soldats abhorrés d’une proche histoire exécrée l’eussent fait de créatures condamnées à l’extermination ; et après ça on vous dissimulait ses avis, en une espèce de tragique complot ou dans un enfermement vous repoussant moralement à la prison ou à la maison de santé, à la forêt antique des barbares, à la croix des nuisibles du consensus, à la rééducation des opposants politiques, en un mot : au camp, à moins qu’on ne se situât en présence d’un appui nombreux pour tâcher par le poids de la multitude de vous écraser avec infiniment de brusque discourtoisie ou d’acharnement vulgaire. Et dans ce déportement, dans cette déportation, toutes façades de mondanité, d’étiquette, d’élégance, d’adresse et de subtilité s’étaient effondrées à l’occasion d’une moindre sensation d’urgence, plus rien soudain n’était masqué, les visages se découvraient d’un seul coup ou plutôt la forme haïssable et qu’on eût crue inhumaine des esprits, il n’était plus seulement loisible de continuer d’ignorer qu’il y avait bien en effet dorénavant deux races d’hommes antagonistes et irréconciliables dont l’une avait manifestement manqué depuis des lustres à tous ses élémentaires devoirs d’entretien et d’élévation, à la façon dont on tombait ahuri tout à coup devant la rusticité de ces bêtes à demi démentes, inaccessibles, intraitables, effrénées, sans curiosité ni référence, et ne démontrant plus aucune faculté, pas le moindre écho au fond d’eux-mêmes, de distance ou de raisonnement. Cette maladie quasi imaginaire, cette peccadille symbolique, matérialisait enfin et d’une façon indéniable cette scission intellectuelle et morale des êtres ; cette pathologie largement bénigne concrétisait durablement la douloureuse différenciation qui s’était lentement et irrévocablement opérée en sourdine entre des modes de pensée non pas dissemblables mais opposés, non pas altérés ou nuancés mais violemment et foncièrement en contradiction ; cette affection banale comme une vilaine grippe entérinait le conflit de l’homme-bête contre l’homme-homme, contre l’homme entretenu au moins à un certain degré de relative pensée. Et cette constatation était sans rapport avec le parti qu’on prenait dans la bataille des covidistes contre les anticovidistes, on pouvait tout aussi bien défendre ou attaquer les nouvelles mesures sanitaires, seulement ce qu’on voyait toujours : d’un côté un conservatisme de structure argumentée, de vrais lecteurs pour la plupart, habitués à trouver des raisons pour lentement établir une thèse documentée, des êtres accessibles et volontaires à la contradiction, dégagés et dissertant en leur nom propre ; et de l’autre des préjugés indéfectibles se saisissant de n’importe quel morceau d’idée, même le plus inepte, en une confusion ridicule et opiniâtre, en une surenchère de pathos hors de propos et à grands renforts de larmes et d’indignation, pour instaurer leur conviction irréfragable et entêtée par-dessus la tête de leurs contradicteurs en insultant, directement ou avec d’insinuantes tournures, emportant par ce procédé l’adhésion publique d’une large quantité de contemporains. Tous ces gens jusqu’alors, particulièrement ceux d’esprit, avaient vécu dans la méconnaissance de leur environnement, supposant d’emblée une uniformité de caractères innés et une commune nature humaine ; or, c’en était fait, bien fait et définitivement fait de cette illusion de concorde et de compréhension mutuelle : des ébahis avaient enfin rencontré des abrutis ; des hommes aux attributs dignes et sophistiqués s’étaient trouvés nez à nez en définitive avec des animaux brutaux, hargneux et rancuniers ; des penseurs dépassionnés et pour qui la conversation avait toujours relevé d’engagements sagement et profondément construits avaient fini par découvrir l’invagination de susceptibilités menaçantes et foncièrement biaisées qui ne reculaient plus devant des bassesses outrancières – rumeurs et dénonciations –, qui n’avaient de leur vie jamais su exposer un point de vue et qui, probablement, senties frustrées de n’avoir pu si longtemps se faire entendre, en profitaient pour ressortir d’un coup leurs récriminations sur le fond des seuls instincts et calomnies dont ils étaient en fait capables. Ces gens s’étaient toujours côtoyés sans vraiment se distinguer en dépit de marques menues et notamment sociales ; ils s’étaient toujours crus d’une même espèce, d’un noyau identique, d’une même antique race, d’un façonnage similaire comme un même sang de fraternité coulant dans leurs veines, partageant la raison et beaucoup d’autres caractéristiques mentales, mais les meilleurs constataient à présent, et ils le constataient irréfutablement, que les uns, inaccoutumés à entretenir leur esprit, avaient fondu tout à coup sur l’opportunité d’une crainte pour s’emparer par la violence de ces débats dont ils s’étaient sentis rejetés et inaptes. La division n’avait jamais été si nette, si notoire ; et la faculté de mémoire de l’époque, pourtant considérablement affaiblie, s’était malheureusement trouvée entretenue par les duretés blessantes qu’on avait endurées et qui ne s’oubliaient point, touchant à l’amour-propre : plus jamais le citoyen ne se figurerait naïvement que le pays contenait une belle et fière homogénéité de mœurs. À présent, l’évidence était que des fous, des primitifs et des absurdes, tous rongés d’ennui et de confort, tous grignotés jusqu’à l’âme humaine de leurs abandonnements, environnaient en foule des îlots de persévérance assez nobles et fins mais qui n’avaient jamais mesuré l’ampleur de leur différence ni la légitimité de leur distinction. Ce fut bien entendu le début de l’ère des méfiances et des bannissements tacites. Une atmosphère de déchéance effarait les esprits sains qui n’avaient jamais voulu croire en une telle rupture : mais la scission humaine avait bel et bien commencé, déjà on ne pouvait plus se leurrer sur le constat qu’il y avait autour de soi quantité d’hommes qui n’étaient plus des hommes, qui s’étaient définitivement compromis dans l’ennui et l’absence d’actes, et dont la régression même n’était plus corrigible, dont la décadence était trop avancée pour opérer quelque redressement, qui ne présentaient plus, et peut-être encéphalographiquement, de similitudes avec ceux de l’ancienne société de la réflexion – et ainsi, à jamais terminé le bienheureux temps du bénéfice-du-doute. Un choc indomptable emplit de circonspection brûlante ces individus troublés, cernés de dégénérescence, soudain seuls, abasourdis ; un mur infranchissable s’éleva entre eux et le reste du monde, les identifiant comme indésirables au monde, les trahissant « immondes », les ségrégeant de facto : on n’avait pas hésité à ourdir contre eux de premières violences, même un simulacre de lynchage les avait déjà menacés, et donc le harcèlement bientôt pouvait venir… Qu’allaient-ils faire chacun ? Comment se reconnaîtraient-ils ensemble ? Ce fut alors le point d’initiation d’un long questionnement qui, débutant dans cet effroyable aperçu de déchéance humaine, ne s’arrêterait plus : à terme, il leur faudrait s’organiser sans doute, il leur faudrait en ce but une sorte d’union sacrée, le besoin leur viendrait d’une façon de pays, de nation peut-être…

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