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Henry War
1 mai 2021

Régression

On n’imagine pas encore tout le mal dégénératif de cette période de « crise sanitaire », où une peur convoitée a servi à asseoir la paresse à un niveau jamais atteint. Les télétravailleurs sont constamment distraits par leurs envies et ne parviennent plus à se résoudre, à y résister, à enchaîner efficacement leurs tâches, au point que le rendement de leur labeur est devenu assez dérisoire, une moquerie, une honte, une indignité humaine excusée par une vague angoisse. Les étudiants se lèvent peu avant midi et n’ont plus le courage de se préparer à manger : certains ne changent pas de vêtements et ressentent jusqu’à du tracas à prendre une douche. Les enfants même, qui constatent enfin au milieu de quelle nonchalance et de quelle surestime ils vivent – car le monde réel leur est enfin révélé et ils ne sont plus les dupes de donneurs de leçons dont les exemples se sont effondrés –, ne consentiront plus facilement à être seuls à rendre un effort. Ce qui s’est abîmé surtout, c’est ce qui relève d’une activité soutenue et prolongée, c’est l’esprit volontaire, dirigé, appliqué, c’est ce qui appartient à la performance de la concentration et de la mémoire, c’est le mécanisme sous contrainte d’une pensée ou d’une action élaborée, c’est l’entretien dans la difficulté d’une certaine valeur intellectuelle ou physique, c’est l’exigence, l’excellence et tout ce qui a trait à la peine et à la contention. Si la durée du travail n’a cessé de décroître au cours du XXe siècle – c’était peut-être un bénéfice pour autant qu’existait encore « l’individu contemporain » (ce dont j’ai toujours douté) –, à présent, c’est la qualité du travail qui diminue dans une société où l’imbécile est le représentatif et le privilégié. Une mentalité d’inertie s’installe et s’ancre, non plus comme un abus mais comme un acquis social, et ce qui était une façon de resquillage s’est mué en jurisprudence (qu’on voie la délicatesse avec laquelle les patrons sont réduits à demander la présence effective de leurs employés !), c’est la mentalité de la négligence, de la franchise, de l’amateurisme, la mentalité de la désinvolture des sots, sans pudeur, sans honte, sans retenue, maladroits, balourds, grossiers, des bons-à-rien revendiquant libertés et divertissements. Typiquement, les élèves ne rendront plus leurs devoirs, réclameront « le droit » de ne pas les faire ou demanderont à être évalués seulement sur ce qu’ils voudront, leurs parents même exigeront qu’on les valorise pour le peu qu’ils ont rendu, pour des brouillons ineptes et presque insultants : leur présence au collège ou au lycée sera rendue facultative pour ce qu’ils y feront, car ils ne se livreront qu’à ce qu’ils désirent – les professeurs, traités environ en subalternes, seront tenus de corriger avec bienveillance ce mauvais travail, piètres tentatives ou abandons qu’on leur lance. Naturellement, ces élèves grandiront et inonderont la société de leur inutilité et de leur flemme : demandez donc à un employeur si ce n’est pas déjà à lui de s’y adapter – ce n’est plus longtemps qu’on fera encore croire aux élèves qu’ils devront se plier aux entreprises, puisque c’est d’ores-et-déjà faux. C’est une société de gens sans convictions sinon celle de leurs propres plaisirs, à qui il faudra toujours arracher un consentement, comme les adolescents qui renâclent à mettre le couvert, ce qu’ils font finalement mal. Ils n’auront plus ni référence ni critère d’un travail accompli, professionnel, consciencieux ; ils se limiteront au minimum et trouveront peut-être tout juste la force de se plaindre de ce qu’ils sont mal servis, partout où ils font appel à quelqu’un. En tous milieux où l’on continuera d’admettre le travail comme effort, le travail aura disparu.

Quand on comprend que le contemporain n’avait plus que cela pour prouver sa valeur à défaut d’esprit et même pour prouver son humanité, c’est finalement un préjudice et une ruine énormes pour l’espèce de lui avoir retiré le travail, car il ne reste rien du peu d’homme que, jusqu’alors, le travail mettait en l’homme.

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Commentaires
P
D'où tenez vous vos propos sur les télétravailleurs, les étudiants etc ?
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