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Henry War
18 mai 2021

Ce que la tradition pallie (addendum)

Évidemment ! Huit mois après avoir écrit cet article, et au lendemain d’un week-end prolongé, je m’aperçois que je n’avais pas distingué un autre critère essentiel de ce respect assez unanime que le contemporain voue aux traditions et aux usages, auxquels il prétend n’échapper que par de petits bouts de fort mauvaise foi pour se savoir quelque capacité de désobéissance. Certes, si elles assomment d’importunité, il y souscrit parce qu’il n’ose pas s’y opposer et parce qu’elles s’inscrivent au sein d’une sagesse supposée à laquelle il veut finalement s’associer comme prétexte, et, certes, la satisfaction qu’il en tire alors vaut mieux que toutes les pesanteurs de rétivité qui blesseraient son sentiment de bonté et qui contrarierait son excuse de se trouver, dans toute concession, d’une relativité et d’une adaptabilité vraiment généreuses et agréables – quel est cet autre critère ?

En l’occurrence, quand il respecte ainsi et se plie, il agit : voilà peut-être ce qui compte le plus. Chez nous, on préfère suivre un précepte même importun que de se sentir la culpabilité de ne rien faire, de se penser amorphe ou vu tel, de ne pas contribuer. La société valorise l’actif, c’est un dogme qu’on ne brise pas sans une farouche indépendance et une réflexion puissante ; déroger à des actions de coutume, c’est non seulement contredire une multitude qu’on humilie pour son dérisoire et ses prétentions au faire et à l’être, c’est surtout se mettre aussitôt en devoir de trouver un substitut à l’activité et à l’état qu’on méprise tacitement et à auxquels on refuse de se soumettre, mais quel substitut ? Le dilemme de chercher un acte palliatif par lequel rendre l’image d’une volonté et d’une vitalité plutôt que d’un refus opiniâtre et obtus est pour lui plus affreux que de se résoudre à des contraintes étrangères : dans la balance il élit encore l’adhésion. Car il faudrait trouver des justifications, se livrer à un examen de conscience, renverser des morales préétablies et majoritaires : au cours de cette démarche philosophique, il faudrait être immobile et paraître aux autres et à soi-même une fainéantise ou une nonchalance, quelque chose comme un adolescent désinvolte, selon maintes conventions longtemps admises et que même le renoncement aux traditions ne désavoue pas par principe. Il faudrait ne rien faire ou avoir l’air de ne rien faire, ô supplice de l’estime-de-soi ! et finir par faire ce qui n’est pas même reconnu comme une action, refuser d’abord une fête par exemple, n’y suppléer par rien, puis remplacer cet héritage de communauté par une séance d’écriture ou toute autre œuvre qui sera déjugée comme vanité ou comme loisir – et ainsi soi-même on doutera au moins provisoirement d’être en train de faire, de vraiment faire, quelque chose. Car le contemporain en loin y songe déjà quand il envisage un refus, c’est logiquement qu’il anticipe l’après, le moment où il ne sera pas à l’endroit où seront les autres : qu’ai-je donc de mieux à faire qu’obéir à telle injonction sociale ? que ferai-je donc à la place, durant ce temps ? La vérité est qu’il ignore ce qu’il devrait faire, il ignore la forme et la tournure de toute autre action dont la valeur perçue intimement se situerait également dans le devoir, et s’il ne peut substituer très bientôt une activité de quelque typique dignité à cette autre à laquelle on le recommande, il abandonne, de guerre tôt lasse, et se résout à l’incitation extérieure qui présente au moins l’avantage de constituer un bienfait reconnu, il renie son droit à une alternative et il abdique sa volonté propre, puisqu’il n’anticipe rien d’autre qui ressemble foncièrement à une activité du type dont la société suppose une valeur. Tandis que resté seul chez lui, il se sentirait vite inquiet comme celui qui s’isole en paria et ne mérite pas de vivre au milieu des hommes : c’est qu’il ne peut pas voir encore – et il ne peut déjà l’oser – que ce sont les hommes, et particulièrement les hommes de tradition, qui ne sont pas humains.

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