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Henry War
8 juillet 2021

Liberté d'expression pour peuple sage

Toute limite, la moindre entrave, la plus petite restriction à la liberté d’expression, ne sanctionne toujours que l’absence de sagesse d’un peuple quand il devient insoucieux de vérité et se met à manquer cruellement de mémoire au point de s’attacher uniquement à des formes ; elle révèle même sa turpitude quand il ne sait plus que réclamer à grands cris craintifs ou indignés des sanctions judiciaires à des « abus de langage ». Il faut toujours conserver à l’esprit qu’un être foncièrement philosophe ne se sent jamais de raison de redouter des mots : s’il est calomnié, il le prouvera ou demandera des preuves qu’on ne pourra apporter ; si une foule est iniquement prévenue contre lui et qu’il ne peut la convaincre, il se résoudra à une solitude salutaire qui ne l’embarrassera point et qu’il ne redoute pas ; mais s’il entend d’injustes haines et des faussetés volontaires dirigées contre autrui, il s’en offusquera, car il ne met rien au-dessus de la vérité sinon, malgré tout, la liberté même de proférer des bêtises, et comme il a la mémoire entraînée et que sa sensibilité est heurtée par qui a attenté délibérément au vrai, il marquera durablement le nom du menteur, et désavouera pour longtemps celui qui s’est discrédité en usant ainsi des mots contre ce qui est juste. Et pourquoi condamner le mensonge ou la méchanceté avec un tel peuple, qui serait si capable de jugement sain et de se souvenir ? Pourquoi l’empêcher d’insulter ou de nier s’il dispose, par la somme des sagesses qui le composent, d’un souci primordial de la vérité ? Pourquoi lui interdire la haine, si sa haine repose sur l’état réel de ce qui est haïssable, ou si, quand elle est injuste, elle est aussitôt corrigée par nombre d’individus qui défendent le bien supérieur de la vérité, et alors ridiculisée efficacement ainsi que son émetteur ? Qu’aurait-il donc, ce peuple, à gagner à toutes ces prohibitions compliquées et tâchant de répertorier et de distinguer tous les cas entremêlés des jurisprudences futures, interférant vainement avec le droit légitime de dire un mal avéré, ou même supposé ou ressenti, régulant le langage, qui est le lot libre de plein droit, libre de naissance, libre par nature, de toute l’humanité, en des contraintes multiples et de chicane ; comment même ce peuple ne se sentirait-il pas insulté et outragé, alors, s’il est fort et fier de sa force, d’être ainsi déjugé par ses législateurs, supposé irresponsable et faible, protégé à l’excès comme s’il n’avait pas de discernement pour corriger de lui-même des déviations si légères et bénignes quoique symboliques à son esprit méticuleux, à la façon de ces enfants qu’un parent oblige à taire les grossièretés et qu’on fait payer une rançon à chacune de ses infractions de style ? L’injure la plus manifeste, pour ce peuple d’âmes matures et nobles, serait de lui manquer de confiance jusqu’à lui interdire et pénaliser l’injure ; certes, il sentirait alors tous le mépris et la condescendance qu’on voue au veule troupeau, et il ne le permet pas, au lieu que… dans un pays d’ânes sœurs et de benêts phrygiens, de bêtes filles et de têtes réduites, stupides comme les révolutions, plaintives comme des propagandes, on estime devoir sanctionner les cruels et les diffamateurs parce qu’un peuple de vacuité et de passivité, inapte à discerner un acte véritable, est perpétuellement tenté de les solliciter pour son divertissement et de leur accorder ses faveurs – il aime le clinquant du faux qui le désennuie et dont il ne sait, faute de méthode, démêler l’injustice – au point qu’il semble en effet ne retomber sur les vilains de sa nation que des avantages comme conséquence aux malveillances qu’ils ont pu proférer ! Une telle impunité par défaut de sagesse du peuple, et exacerbée, comme il se sait misérable, comme il se devine impuissant de résolutions et d’actes, par le sentiment intérieur de sa fragilité, oblige à des remèdes légaux qui imposent la délégation de la défense du vrai à des commissaires et à des juges spécialisés – c’est le premier pas dans la défausse et les lâchetés, qui entame une marche longue et inexorable vers le gouffre et la fange des êtres bêlants et mugissants. Dès lors, en effet, il faudra des procureurs, des avocats, des mandataires, et toutes sortes de spécialistes appointés pour assumer cette infinitésimale justice-là qui n’appartient plus au peuple et dont il se décharge par paresse et par crainte ; ce système l’incite à la perpétuelle pleurnicherie et à l’indignation du moindre mal qu’il a perdu l’habitude de défendre et de contrer par lui-même ; il sent toujours poindre en lui une victime et le besoin d’une réparation ; il abuse de son droit-devoir de mugir son élégie pitoyable au lieu d’affiner sa science perspicace de la contradiction ; et, pour tout jugement du bien, il finit par se soumettre entièrement à la loi restrictive unanime au bercail, aux décrets en vigueur sous la surveillance opiniâtre de milliers de bêtes comme lui, aux impératifs de plus en plus démentiels de ses sénateurs zoologiques, dès lors. Une paranoïa et une hypocondrie rendent ce peuple susceptible, processif et futile, débarrassé des questions de vérité, attentif uniquement au respect de procédures juridiques, reposant sa vigilance non sur le sens des mots et sur des critères de vérité, mais sur la forme espérée de l’interdit : il relève chicaneusement des tournures où il pressent de l’illégal, mais perdant l’intuition du légitime, il se désaccoutume progressivement de fondre son esprit dans le propos même, il se déprend de l’habitude de le comparer systématiquement et scrupuleusement avec la réalité. C’est pourquoi, tant qu’une société ne corrige pas l’ordure et la déraison par le mépris porté par ses habitants contre tout ce qui est faux, on a besoin de la censure pour paraître rétablir le mérite que les gens sont devenus incapables ou indésireux de distribuer au sein du corps civique. Or, de la censure même, qui retire à l’être la grande responsabilité de juger, naît l’affaiblissement de ses facultés critiques : c’est alors seulement que la censure paraît nécessaire, parce que l’individu s’efface au profit d’un être falot qui en vient à croire, au lieu de penser, que ce qu’il entend et lit, puisque c’est publié et autorisé, est vrai d’office ; la pente est bâtie, le pli est marqué, il vient peu à peu à se dire que tout ce qui trouble son ordre mental doit être prohibé ; non seulement il se fabrique un usage de ne jamais réfléchir, s’enferre dans une sempiternelle mentalité de recherche d’une plainte, mais il acquiert une défiance du génie dont la caractéristique principale est justement d’être original, et donc d’interloquer, de surprendre, de jeter dans un effarement provisoire qui est une variété du trouble que la loi ne permet plus et indique par conséquent à tous comme un mal poursuivable et condamnable.

Et voilà pourquoi le premier souci d’un gouvernement honnête et noble ayant le désir et le soin de la sagesse de son peuple, c’est de libérer sa parole, non de le museler : rendez chacun intelligent, concerné par la vérité, soigneux de vérifications et accoutumé à retenir des faits ; rendez chacun capable par la fermeté de sa raison de résister dédaigneusement aux pressions des sots et des menteurs, et c’est sans mal que vous pourrez alors vous dispenser de permettre juridiquement d’alimenter des procès contre des calomniateurs devenus alors inoffensifs, sauf à eux-mêmes.

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