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Henry War
21 janvier 2022

Désaveu du légitime

Notre corps social démocratique a créé par son pacifisme acharné un étrange paradoxe : c’est la situation de gouvernants qui peuvent sans cesse proposer des lois anticonstitutionnelles, tandis que des Chambres qu’ils nomment sont supposées les contrôler, et, si elles rejettent leurs propositions, ne leur en tiennent pas plus rigueur que s’il s’agissait d’idées aventurées avec légèreté et sans aucune conséquence. En substance, une âme de tyran avance avec impudence une législation qui foule le droit des Républiques cumulées, un droit établi sur la proclamation solennelle des meilleures garanties publiques, et quand cette insolence est heureusement contrecarrée par un organisme chargé exclusivement de défendre les intérêts des citoyens et d’interdire dès l’essai tout acte de despotisme, le dictateur empêché conserve son pouvoir entier, il retrouve intactes toutes ses prérogatives, il ne lui reste qu’à retourner à ses affaires autoritaires sans être nullement inquiété ni poursuivi, sans même une semonce ou un avertissement, et il n’a plus qu’à fomenter un nouvel édit discriminatoire ou attentatoire aux libertés essentielles puisque rien au cours de ce processus n’est amené à lui faire regretter ses tentatives qu’il aurait tort de ne pas renouveler : ni l’opprobre collective du citoyen, ni la puissance de la justice ne se charge de frustrer par une sentence définitive l’effort de corruption du tyran médiocrement frustré : il recommencera donc, il n’y a nulle raison d’en douter.

On a encore récemment vu à plusieurs occasions nos Conseils d’État et constitutionnel prononcer la censure d’articles de lois qu’ils jugèrent incompatibles avec le droit français et l’esprit de ce droit, mais il n’en advint point qu’un sceau d’infamie marquât durablement leurs auteurs, et nos dirigeants en furent de nouveau quittes pour attendre le moment favorable où ces soi-disant Sages seront moins attentifs ou plus compromis. Rien qu’un soulagement de rares démocrates accueillit ces délibérations plus périlleuses qu’on ne croit, et après ce suspense, on ne soupçonne pas qu’il faille d’une semaine à l’autre s’en remettre au prochain, selon ce que nos dirigeants estimeront de leur devoir d’abolir de droits dans notre pays, couverts par quelque prétexte qu’ils arboreront pour couvrir leurs turpitudes. Tôt ou tard, savent-ils – et nous ne sommes pas dupes, nous le savons aussi, nous l’anticipons à la manière insidieuse et impunie dont ils poussent leurs alliés au sein de ces instances –, cela passera.

La République n’aura rien fait ; pire, elle fera que le peuple estime que la tyrannie sera légitime pour ce que les autorités chargées de l’empêcher l’auront permise. La République s’est bizarrement laissé le potentiel de recourir à la dictature à la condition qu’elle l’octroie, parce qu’elle refuse de recourir aux châtiments contre ses profanateurs. Régulièrement, à présent, on vient lui demander : « Voulez-vous bien céder sous les assauts insistants du saccage ? » Elle refuse, et puis elle cède par petits pans, puis elle finira par tout permettre, par une sorte d’esprit d’extensive cohérence et de jurisprudence : « J’ai consenti là-dessus ; logiquement, je dois me résoudre aussi ailleurs. » On en est au point que des ministres réclament de rencontrer d’avance de ces hauts fonctionnaires pour arranger avec eux les conditions d’acceptabilité d’une scélérate loi : il y a peu, ce n’était pas licite, on trouve aujourd’hui que c’est faire preuve de préparation. Bientôt, il suffira de négocier auprès des Chambres suprêmes, on obtiendra : « Nous acceptons, Messieurs, votre coup d’État ainsi annoncé : son déroulement convient assez aux besoins de la République et respecte l’ordonnance de ses formalités administratives. Nous vous accordons le droit de tuer le droit, l’important étant que vous nous l’ayez proposé dans les formes dument exigées. » 

Vraiment, on dirait que nos institutions se fabriquent volontiers des périls à tolérer ainsi qu’on bafoue leur devise, qu’on ne lance automatiquement nulle chasse quand cela se produit, et qu’on récidive autant qu’il plaira jusqu’à ce que le mal se fasse un accès et finisse par réussir : on les figure en cet inconséquent mari fidèle qui accueille chez lui l’amant, le voit séduire sa femme et permettre indéfiniment le renouvellement de ses assiduités, réitérant ses refus polis après délibérations, et, sans menace ni humeur, ne l’éloignant nullement de son foyer, l’incitant même à revenir. Aujourd’hui, l’amant négocie auprès de l’époux par quelle charge correcte il pourra atteindre la chambre de sa convoitise, et c’est patiemment que l’époux entend dans son fumoir distingué ses suppliques et s’apprête à exprimer des conditions.

C’est bien cela : notre longue République de citoyens et de droits n’est à peu près qu’une prostituée que négocie en ce moment même, en quelque lieu de prestige, quelque client avide et abuseur du gouvernement auprès de quelque maquereau que représente un haut Conseil, l’un ou l’autre.

… À l’instant, un nouvel octroi tombe. Je publie donc inopinément.

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