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Henry War
22 janvier 2022

Nouveau florilège du Conseil constitutionnel

Il est malheureux qu’aucun membre du Conseil constitutionnel n’ait conservé un peu de ses qualités de magistrat ou de jurisconsulte : un magistrat ou un jurisconsulte est quelqu’un qui se fonde strictement sur des textes et dont les décisions sont opposables en droit ; c’est une personne qui a une formation spécifique et solide pour justifier et argumenter irréfragablement à partir d’écritures ; c’est un spécialiste qu’on ne prend guère en défaut sur une interprétation personnelle parce que, précisément, il n’a pas vocation à en faire : ou sa parole est incluse dans la loi et il se contente de citer le Code, ou le Code ne contient pas telle parole et alors il la tait.

Ces principes de droit élémentaire, les membres du Conseil Constitutionnel n’en ont pas compétence ou bien ils l’ont perdue, et je vais le prouver. Le Conseil constitutionnel est devenu un organisme politique. On ne saurait prétendre du tout qu’il admet des philosophes préoccupés par l’esprit des lois comme un Montesquieu. Nommé par les pouvoirs, il est un instrument des pouvoirs. Il méritait peut-être qu’on y suppose des « Sages », mais c’était en un autre temps. À présent, c’est seulement une assemblée de hauts fonctionnaires désœuvrés et complices.

Je ne voudrais pas me vanter – la sentence qui suit est pour indiquer non combien je suis fort, mais comme ils sont mauvais – : ma propre réflexion logique et légale les dépasse d’assez loin, et je n’ai pas suivi d’études de droit.

Dans sa décision n° 2022-835 DC, le Conseil constitutionnel autorise le passe vaccinal. Il sera intéressant de constater une nouvelle fois comme il justifie tant de mesures prises contre les libertés prônées notamment par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’il a vocation à défendre ; il faut néanmoins reconnaître qu’après avoir accepté le passe sanitaire, il n’avait, en cohérence, pas le choix que d’y agréer. Oui, mais par quels « arguments » ou plutôt par quels procédés dialectiques ? Florilège.

Après avoir formellement identifié et rappelé, des alinéas 3 à 6, les objections émises par des députés contre le passe vaccinal, le Conseil constitutionnel rappelle en 7 que « Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous … la protection de la santé » ; puis en 8 qu’« Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre cet objectif de valeur constitutionnelle et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée garanti par cet article 2, ainsi que le droit d'expression collective des idées et des opinions résultant de l'article 11 de cette déclaration. »

Ce préambule est excellent en termes de droit : non seulement il soulève la possibilité d’une contradiction entre des textes à valeur constitutionnelle, mais il rappelle en substance que le législateur est tenu de les concilier. Or, en l’occurrence, ce n’est manifestement pas le cas, ce que rappelle le dilemme des articles 10 et 11 :

« 10. Ces dispositions, qui sont susceptibles de limiter l'accès à certains lieux, portent atteinte à la liberté d'aller et de venir et, en ce qu'elles sont de nature à restreindre la liberté de se réunir, au droit d'expression collective des idées et des opinions. 

« 11. Toutefois, en premier lieu, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre l'épidémie de covid-19 par le recours à la vaccination. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. »

Il découle naturellement d’une telle contradiction deux conclusions possibles, si l’on veut trancher avec logique et justice, c’est-à-dire selon l'esprit du droit :

- ou bien l’on admet qu’aucune loi ne peut réduire la portée d’une autre déjà établie. Par conséquent, on signifierait que lorsqu’une loi sanitaire entrave un droit ou une liberté garantie, elle est anticonstitutionnelle, ou, à l’inverse que quand une loi nouvelle favorable aux libertés dérange l’objectif de santé, elle ne saurait être acceptée et intégrée au Code. La priorité, en somme, reviendrait à la loi déjà faite contre celle qui vient, par souci de cohérence interne au droit. Logiquement, selon ce système logique, aucun passe ne saurait être constitutionnellement accepté.

- ou bien l’on admet une hiérarchie selon les textes constitutionnels, par exemple suivant leur nature, leur thème ou la numérotation de leur article. En ce cas, il y a fort à parier qu’autant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que la Constitution citée de 1946, rédigées dans les circonstances qu’on sait, accordent une importance plus grande à la liberté qu’à la santé : il n’y aurait qu’à interroger « en théorie » là-dessus une mentalité de Révolutionnaire ou de Résistant, et de lui demander s’il préfère se voir interdit d’accès à certains lieux ou s’il vaut mieux pour lui perdre un an d’espérance de vie.

Naturellement, ce serait une méthode trop serrée pour un Conseil constitutionnel. Cela l’obligerait strictement à vérifier des conformités, à se tenir à ce rôle rigide ; il n’y aurait rien à interpréter, et partant, rien à concéder à des amitiés politiques qui ont valu à ses membres leur place et leur salaire. Le Conseil constitutionnel ne serait alors qu’un organisme de maintien des textes légaux : quel ennui !

Comment donc résoudre cette impasse ? Le Conseil constitutionnel devrait logiquement trancher en faveur d’une priorité, mais on a vu qu’il serait difficile d’abonder pour la santé ; or, il veut complaire au gouvernement. Par quelle justification – puisqu’en France on doit motiver ses avis par des rapports écrits – passer la santé avant, par exemple, la liberté ?

En 12, il indique qu’un comité de scientifiques a décidé que les vaccinés transmettaient moins et étaient moins malades. En 13, que la loi examinée se terminait en juillet 2022 (en 17 qu’elle sera arrêtée quand elle ne sera plus nécessaire). En 14, que le « Conseil constitutionnel […] ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause l'appréciation par le législateur de ce risque ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé aurait pu être atteint par d'autres voies. »

Voilà. Tout le reste est inutile. La décision est déjà prise. Ça semble propre ainsi. Un groupe d’« experts techniques » a formulé ses préconisations ; le Conseil Constitutionnel n’a pas à en douter ; et puis la loi n’est pas faite pour durer.

Si ceci vous convient, si vous jugez que c’est suffisant et sans reproche, vous êtes de toute évidence un crétin diverti.

Reformulons les choses moins superficiellement, je vous prie, pour vous sortir de votre coupable facilité. Si je vous disais, moi, en tant que membre du Conseil constitutionnel, qu’il appartient à un organe que nulle Constitution n’a prévu, à savoir le « conseil scientifique », de déterminer la vérité dont je me contenterai et à laquelle je me résous faute de vouloir, on ne sait pourquoi tout à coup, porter une appréciation, qu’en diriez-vous ? Et si j’affirmais qu’une loi, même opposée aux textes constitutionnels, demeure acceptable dans certaines circonstances et selon quelque durée, reconnaissant qu’il existe une tolérance pour des « anticonstitutionnalités circonstanciées » comme si les garanties des textes fondateurs d’une République avaient cessé d’être imprescriptibles (on se demande à quoi servirait n’importe quelle Constitution d’État si elle n’établissait pas définitivement des valeurs et des droits pour ses administrés), seriez-vous bien satisfait de ma « sagesse » ?

Et ce n’est pas tout : en 19 et 21, le Conseil constitutionnel se penche sur des objections insolubles et reconnues contradictoires ; oui, mais il admet tout de même l’acceptabilité du texte qu’on lui présente, et pourquoi ? Parce que, dit-il, « le législateur a prévu un décret ». Bien sûr, un tel décret n’est pas advenu à ce jour, il ne figure même pas dans la loi, il restera à publier ultérieurement ; autrement dit, voilà que le Conseil constitutionnel se fie à des promesses : il admet que le texte en l’état n’est pas constitutionnel puisqu’il nécessité des closes d’exceptions, mais comme on prévoit, plus tard, un jour, on ne sait selon quel délai ni quelle formule, d’y apporter un décret, tout va bien, il l’accepte.

C’est dommage pour tous ceux qui croyaient comme moi que le Conseil constitutionnel se bornait à vérifier des textes : voilà qu’il s’attache à lever les contradictions des textes eux-mêmes en se fondant sur des paroles écrites nulle part !

Et voyez, cela se répète sans cesse. S’agissant d’interdire un emploi aux non-vaccinés, disposition louche : en 27, rappel des Droits de l’homme ; en 29, admission que la loi vaut une obligation vaccinale ; puis 30, c’est pour répondre à l’objectif constitutionnel de santé ; 31, c’est le comité scientifique qui l’a dit ; 32 il ne nous appartient pas de porter une appréciation sur ce comité, par conséquent 37 : c’est bon.

Il est manifeste et incontestable que le Conseil constitutionnel, qui prétend n’apprécier rien, fait pourtant plus grand cas de la santé que de la liberté, et que, au surplus de cet aveu de totale inconséquence critique, il n’est même plus en mesure d’apprécier les lois qu’il a charge de défendre, qu’il se fie davantage aux promesses des législateurs qu’aux textes constitutionnels qu’il a sous les yeux. Dans toute sa puérile spéciosité, dans la limitation de pensée absurde qu’il s’impose on ne sait en vertu de quelle interprétation de sa fonction, on conviendra qu’il suffirait qu’un comité non de « scientifiques » mais de « philosophes-des-libertés » servît de référence pour qu’on ne pût l’apprécier davantage et par conséquent le contester, c’est alors que la liberté prévaudrait ; oui, sauf que le Conseil constitutionnel a foi en le législateur, il a foi en le comité scientifique et il a foi en le gouvernement, mais après avoir accordé tant de confiance partout, voilà tout à coup qu’il n’a plus la force de croire les études contradictoires, ni le Défenseur des Droits ni la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, et non seulement il n’a plus la force de les croire mais il n’a plus même la force de savoir qu’ils existent ! Je ne parviens pas à déterminer, face à telle obtusion systématique, face à tel prétexte honteux, à tel illogisme d’enfant et à tel abrutissement volontaire et assumé, par quelle raison le Conseil constitutionnel a autorisé l’accès aux lieux de réunion politique et en quoi sa décision repose sur le comité-scientifique-qu’il-ne-faut-pas-contester, ou plutôt je n’y parviens qu’en comprenant qu’on lui a fait examiner cet article auquel on ne tenait point pour donner à accroire qu’il servait à quelque chose. Mais le raisonnement du Conseil constitutionnel relève d’une telle imbécillité, d’une telle aliénation de son rôle et de sa légitimité, d’une telle inutilité puisque tout est déterminé par des avis antérieurs qu’on prétend refuser d’interroger – comme si tous les régimes opposés à la démocratie ne bénéficiaient pas aussi d’experts et de comités – qu’on se demande encore, à tel déploiement de « facultés », pourquoi il existe encore : c’est qu’il n’y a pas lieu, en général, de conserver dans une République un organisme qui n’a ni mission de vérifier des conformités, ni vocation, et de son propre aveu, à réfléchir à quelque chose.

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