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Henry War
7 février 2022

Contemporain aux humeurs

Je ne crois pas qu’on puisse encore prétendre que le Contemporain dispose vraiment « d’avis » ou « d’opinions » en tant que ces attributs seraient la somme d’une vérité recherchée et d’une mémoire entretenue. On ne le voit plus jamais quêter activement des vérités en-dehors de celles où ses tendances penchent facilement, il considère toute analyse d’un fait comme un intellectualisme fatigant et prétentieux, il n’a plus jamais dressé une somme à partir de données diverses, il se contente d’enregistrer des synthèses prêtes, pille des serveurs qui font le contenu de son cerveau en totalité, et c’est à grand-peine s’il se rappelle ce qu’il a tâché de retenir la veille.

La façon dont il sélectionne ces informations étrangères qu’il s’approprie est cependant d’un certain intérêt : on peut en effet se questionner avec curiosité sur ce qui, chez une personne sans souci ni critère de vérité, induit le sentiment d’une donnée importante et suscite l’adhésion. Il faut partir de l’observation que la faible faculté mentale des modernes les rend impropres à élire des idées sur des fondements scientifiques ou philosophiques : ils n’ont pas la moindre intuition de ce qui relève de la science ou de la philosophie, ces domaines les embarrassent plus qu’ils ne les attirent, révélant leur incompétence et combien ils sont dépassés, ils ne veulent rien avoir à faire avec des disciplines qui les humilient. Ils n’élisent pas les savoirs en les distinguant selon l’honnêteté et l’intelligence ; ils n’auraient pas – je crois qu’intimement ils le savent – la faculté d’une si élémentaire ambition, mais c’est un autre critère qui justifie leurs intérêts et appropriations : lequel ? Il suffit de vérifier ce qui motive leurs disponibilités, de constater ce qu’ils apprennent et ce qu’ils ignorent, et, en pesant la bêtise volatile de ces futilités, d’établir une norme de choix pour expliquer leurs « directions ».

Quel critère ? le voilà : l’opportunité de la correspondance : le contemporain n’aspire qu’à être confirmé, et il poursuit assidument toute information qui l’approuve. Or, même pour cela, il ne part pas de connaissances solidement et volontairement acquises qu’il prolongerait, car à aucun moment de son existence il n’a véritablement acquis de connaissances volontaires et solides, n’ayant jamais développé d’inclination pour l’effort : on ne lui discerne rien d’établi fermement, parce que sa paresse est à n’apprendre que ce qu’on lui ordonne et ce qui lui semble présenter un avantage pratique. Alors comment peut-il progresser, ou, plus exactement, sur quel fond base-t-il ses convictions et ses préférences ? C’est bien simple, il n’y a pas autre chose : le Contemporain ne tenant à rien d’intellectuel, il ne peut tenir qu’à ses impulsions spontanées ; et voilà pourquoi, quand il prétend choisir, il ne fait que succomber à sa prochaine envie, quand son peu de mémoire s’efforce à rendre à peu près cohérente la somme de ses envies pour se figurer de l’individualité et de l’intégrité. Pour le dire en une phrase, le Contemporain ne tâche pas à harmoniser ses savoirs et leurs raisons, mais il n’a que des humeurs qu’il essaie tant bien que mal d’homogénéiser.

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