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Henry War
3 février 2023

Faire l'amour, c'est s'appliquer

(On me reprochera décidément mon soin omniprésent de la performance… N’importe, car je n’entends pas comme on peut, aussi insouciamment qu’à présent, se laisser vivre…)

Je ne m’étonne plus que le Contemporain soit devenu si incapable de relations sexuelles, au point de savoir qu’il préfère jouir paresseusement des écrans que se fatiguer quinze minutes d’un coït balourd et humiliant. Je tiens comme vérité indéniable que pour connaître un rapport sexuel satisfaisant, il faut s’appliquer, faculté dont est malheureusement dépourvu un quidam actuel. Le Moderne ne veut plus se forcer à rien, ni au travail véritable, ni à réfléchir vraiment, ni même à la moindre ponctualité ; or, il y a aussi de la contrainte dans la sexualité, des efforts à fournir, des connaissances à deviner et acquérir, ainsi qu’un tempo opportun pour l’orgasme ; il faut savoir l’anatomie et la psychologie, il faut diriger un corps entretenu, il faut une rigueur et une concentration, il faut aussi se retenir, et il faut – handicap suprême du Contemporain –, être un tant soit peu en mesure d’improviser. C’est certainement ennuyeux de devoir rater aussi une partie de plaisir, c’est pourquoi il ne s’y risque plus : cela anéantit sa fierté, il s’en tire bien plus honteux et misérable d’avoir éjaculé précocement ou écarté les jambes avec indolence que d’échouer à une partie de jeu vidéo – il n’existe plus de partie fine, il n’est plus que des parties grossières. Notre époque, faute d’individus, connaît surtout l’échec, rien ne lui réussit, c’est au point qu’un Contemporain n’ose plus entreprendre et que pour s’épargner la conscience de la perpétuelle nullité de ses tentatives, il se fabrique les loisirs ou les excuses selon lesquels il est normal de ne pas triompher, normal de se contenter de participer, et presque normal d’échouer même à participer. En l’occurrence, comment ne pas trouver que l’insatisfaction d’un « sport » qui a pour fonction essentielle et notoire la procuration du plaisir, est un manquement grave aux règles intrinsèques de cette occupation ? Mieux vaut donc logiquement l’abandonner d’emblée pour n’en rien craindre contre l’estime-de-soi, nulle blessure d’orgueil et qu’il faudrait une fois de plus contourner et, lentement, tâcher d’oublier – avec déjà tout le reste de ses défauts et de ses tentatives nulles.

C’est ainsi que la sexualité s’éteint : il n’en reste qu’un rut sans profondeur et sans âme, un rut presque sans homme puisque sans distinction, un rut anonyme et routinier, comme la société où il s’inscrit.

Vraiment, les humains d’aujourd’hui sont à la fois si laids et si bêtes, si peu perspicaces, si ignorants et incompétents, et en même temps si constants et cohérents dans leur turpitude, si homogènement médiocres, qu’on ne se figure pas par quel prodige de discontinuité ils peuvent pratiquer une sexualité excitante : un taureau maladroit saillant une vache molle, voilà qui n’est ni pour le taureau ni pour la vache – moins encore pour le berger – de quoi nourrir l’imagination et donner envie de réitérer. Un boudin en voie d’extinction imminente dans un boudin plus vaste, passif et mal comestible – qu’on me pardonne la trivialité de l’image, je fais dans la plus étroite équivalence métaphorique – : voilà de quelle vision refroidir ne serait-ce que l’intention d’une ardeur ; on comprend pourquoi l’inspiration s’enfuit. Les gens – les femmes surtout – en ont légitimement assez de baiser par pitié, et passé un défoulement très bref et premier-degré, ils y sentent une nuisance morale, sans vouloir se représenter que c’est aussi de leur faute. Ils ne lisent pas mais ils supposent malgré tout que quelque caractère inné leur tiendra lieu en la matière d’éducation et de stimulation, ils ne savent ni manger, ni dormir, ni même respirer, et ils aimeraient se dire spontanément érotiques, comme ces naïfs qui pensent qu’il suffit d’avoir la foi pour pratiquer une religion ! C’est comme tant de plumitifs mièvres et dyslexiques et qui se croient écrivains et même poètes : il suffit de se dire en capacité théorique de construire une table et peut-être d’avoir poncé dix minutes, pour se clamer menuisier. Je n’entends pas comme on peut être spécieux au point de prétendre qu’il suffit d’avoir un corps sexué pour être apte et efficace à s’en servir : est-ce qu’on est bon pêcheur aussitôt qu’on dispose d’un hameçon ? La nature, ne nous apprend pas avec fine composition l’usage des corps, notamment celui d’autrui, il faut s’y pencher par volonté et par étude, être encore désireux et capable de découvertes et de perfectionnements, ne pas rechigner à des apprentissages patients, avoir foncièrement l’orgueil de s’améliorer et même d’exceller. Or, à nécessité de telle méthode, puisqu’il faut des adultes encore susceptibles d’ouvrage, qui trouvera un amant convenable de nos jours ? Les femelles les plus belles manifestent des artifices sans chaleur ni intelligence c’est-à-dire sans perversité tentante, et les mâles les plus athlétiques entretiennent leur stupidité dans des salles de sport où leur vice suggestif se limite à la connaissance de la course à pied et du soulevage de palets. Les humains aux corps les mieux constitués pour le sexe sont aussi les plus irréfléchis à les utiliser.

C’est pourquoi il me semble qu’en plus des évidents constats de masse corporelle et de mobilité physique, il n’est plus besoin d’être psychologue pour deviner, en les considérant sous l’angle de la subtilité mentale, que la plupart des Contemporains sont incapables d’une sexualité astucieuse et performante : on ne les imagine pas même placer leurs mainsinspirer des vices, encore moins exaucer chez autrui un fantasme deviné. On prétendra encore que j’aventure ce que j’ignore, on voudra que de systématiques fainéantises, si chroniquement et universellement inappliquées, sans parler de l’initiative, inclinent encore à des apprentissages dans le domaine sexuel au prétexte qu’au moins pour ce qui leur donne du plaisir, les gens auraient conservé de l’intérêt et du soin. Mais je prétends qu’à force ils n’y ont qu’un intérêt et qu’un soin réduits, pratiquant si mal que c’est à peine s’ils s’y adonnent avec plaisir, à peine de la sexualité où ils envisagent du plaisir, au même titre qu’ils pensent couramment lire sans jamais avoir lu, sans jamais poser sur une œuvre qui serait un livre un esprit qui serait d’un lecteur. J’affirme que c’est faire fi de la cohérence des êtres, que c’est pousser par optimisme forcené à l’illogisme et à l’invraisemblance, et que c’est oublier que la sexualité est un exercice et un art que ne savent entretenir des gens qui ne consentent plus à s’exercer en rien ni à juger aucun art, n’osant plus ni édifier ni affronter des critères (de réussite).

Et voilà ce qui est désolant aux individus comme moi quand ils envisagent un homme ou une femme contemporaine, c’est de se dire : « Ça n’a ni corps ni esprit ; ça ne réalise aucune inspiration ; et en raison de l’esprit qu’il y manque, si le corps peut encore convenir, ce n’est pas seulement bon à abriter un fantasme de bon baiseur ou de jolie salope. »

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