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Henry War
4 mars 2023

La religion comme conformité et comme mondanité

Je ne me souviens pas que Nietzsche ait expliqué les mystères de la religion de ces côtés-ci, peut-être évidents quoique à mon avis point réducteurs, de la conformité et de la mondanité : c’est surtout, à y réfléchir, parce qu’il se proposait d’en comprendre les origines stupéfiantes et non l’entretien dans la banale mentalité des croyants normaux.

Il n’est pas difficile de remarquer qu’une religion se développe en raison proportionnelle de son nombre d’adeptes : elle croît comme un phénomène de mode en fonction des adhésions, et s’éteint non parce que sa révélation est démontrée fausse mais parce qu’il n’y a plus personne à imiter. Le pouvoir de la grégarité est tel que l’homme préfère avoir tort pourvu qu’il soit en compagnie nombreuse, et c’est notamment pourquoi on trouve peu de chrétiens dans un pays d’autre croyance majoritaire même où ils ne sont pas persécutés : on se fédère autour des valeurs de gens proches parmi lesquels on est né, mais leurs arguments ont peu d’importance pour que vous incliniez en leur faveur, il suffit qu’une concorde de la foi facilite quelque bienveillance mutuelle. En plus du confort que procure le fait d’avoir dans son environnement peu d’inimitiés – inimitiés que suscite la différence –, la conformité octroie un certain nombre des avantages tacites induits par l’affection d’un entourage semblable, au point que l’existence est plus facile quand on ne résiste pas à la majorité ambiante : il ne se peut que cette considération d’intérêt, chez l’homme en qui la puissance attachée à l’optimisation de la survie est si prépondérante, n’entre pas aussi dans la balance à la moindre hésitation religieuse.

L’idée de mondanité me vint à l’audition des cloches d’une église lors de la célébration d’un mariage : en songeant au divertissement que j’y pourrais trouver, je me fis la conception qu’aux époques antérieures de l’histoire, les occasions de rassemblement et de fêtes étaient sans doute assez rares, de sorte que même à défaut de croire, une religion, en considération de sa communauté et de ses rites, offrait au moins à se désennuyer : ne point sous-estimer le rôle du sentiment de solitude dans la motivation des êtres. L’homme se sent un besoin de fréquentations et de festivités, c’est même souvent la condition à ne pas souffrir, et s’il hésite alors entre les contraintes du culte et l’accès de pareilles promesses, probablement il lui paraîtra que l’adoption d’une confession même absurde – absurdité qu’on peut heureusement oublier ou convertir en vertu (principe des religions : « credo quia absurdum ») – est un faible sacrifice en comparaison du profit qu’il tirera de telles facilités et distractions qui lui sont autant de faveurs pour la vie. Tout culte admet d’émouvants spectacles et des pratiques curieuses : notre époque qui dispose de l’embarras du choix en matière de divertissements ne se représente guère deux mille années passées sans écran, le quotidien de cette éternité, l’absence de projets délassants et de variétés ludiques en-dehors d’une partie de dés ou de cartes, l’écrasement de monotonie d’une société… où il faudrait encore faire preuve de résistance pour s’empêcher de suivre les rites avantageux de telle « communion » sociale ? Il ne faut peut-être pas chercher tant de profondeurs dans les motifs des hommes de rejoindre la communauté des croyants, comme si tout à coup il avait été métamorphosé ou transfiguré hors de toute réalité et consistance connues. Si l’on ajoute à ses prétextes normalement veules la simple poursuite des traditions qui, avec la foi réelle ou feinte c’est-à-dire la morale partagée, est aussi, comme on s’en aperçoit tôt dans l’existence enfantine, de nature à favoriser les rapports entre les gens, je ne présume pas qu’il y a lieu d’instruire bien davantage ce procès historique pour stupidité individuelle et collective. L’avantage notable de cette conclusion est qu’elle n’a point obligé à quêter des abstractions et des spéculations qu’on ignore et affecte de connaître, de s’en tenir à l’homme en ce qui concerne ses attributs les plus essentiels et inconditionnels, et de l’extrapoler tout juste avec une minutieuse logique à d’autres époques de l’histoire et en d’autres lieux. Ainsi, on risque moins de juger la religion pour autre qu’elle est, à savoir : sociabilisante, décorative, intrigante et stimulante. Cela suffit à la suivre, même sans y adjoindre les circonstances autoritaires et politiques qui ont pu forcer à s’y rallier. Mais il ne semble pas en général que le Français, ni beaucoup d’autre au monde, se soit opposé au culte dominant de son environnement, de toute manière : ces renégats sont alors, quand on en trouve, surtout des exceptions dont on fait des symboles exagérés quand on les applique pour flatterie à tout un peuple qui manque de preuves de sa valeur et qui doit la chercher dans des individus qu’il ne représente point et dans une identité qu’il n’est pas – comme la résistance française ou le goût national pour la dispute, pour les droits humains, pour l’art et la philosophie.

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