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Henry War
19 mai 2023

Condition d'une révolution efficace

Je crois que les luttes victorieuses se sont toujours faites contre des moindres nombres : une majorité qui avait perdu l’avantage chasse une minorité qui s’était arrogé un pouvoir – on peut ainsi remplacer une puissance qui ne tient que par des moyens supérieurs. Mais je ne sache pas qu’une révolution puisse réussir d’un groupe moins nombreux contre un plus grand : par exemple, les Noirs américains ne triomphèrent de la ségrégation raciale que lorsque des Blancs firent enfin pencher la balance numérique de leur côté – de même finit l’esclavage en Amérique, car il fallut attendre que le Nord s’en révoltât suffisamment pour voter en faveur de Lincoln. Une foule démunie l’emporte parfois sur un groupuscule d’hommes armés, mais il me semble bien qu’on ne rencontre que le triomphe d’un rapport de force plus important par le nombre.

Or, chez nous, le problème ne vient pas des représentants, qui ne sont que des pièces de foule, car chaque citoyen porte en germe les défauts de ses gouverneurs. Le problème est ainsi la foule elle-même, et en son sein la déficience de chaque élément qui la forme. Or, il n’est que trop clair que nous sommes une infime minorité à s’en apercevoir, que le Contemporain n’a pas intérêt, pour son estime, à le découvrir : c’est pourtant lui qui nécessite la révolution profonde de son état personnel, et non quelque organisation extérieure qui serait moins nombreuse. De quelle impulsion viendrait la révolution ? d’une minorité éclairée ? Mais a-t-on jamais vu qu’un petit nombre obtienne sans coercition le pouvoir de renverser ou de modifier un grand nombre ? D’ailleurs, nous ne sommes même pas une minorité belliqueuse, car nous admettons qu’une démocratie n’obtient que ce que ses citoyens méritent : c’est notre ferme et dignifiante justice de croire au mérite, y compris au mérite négatif, c’est-à-dire au châtiment.

Alors la révolution est perdue pour l’heure, il ne faut pas y compter : c’est logiquement qu’on ne doit pas espérer de nos effets et de nos efforts. Ils sont nombreux, nous sommes rares, ce sont eux qui décident : ils trouveront toujours de plus petits groupes auxquels s’en prendre, ils ne résoudront pas leur problème et ils nous en créeront peut-être si c’est après nous qu’ils crieront. Je ne vois pas par quel moyen persuasif, à quelque terme, nous pourrions devenir le grand nombre : il faudrait au Contemporain renoncer à ses plaisirs pour endosser la dureté du travail ; il préfère reporter sa faute sur des minorités illusoires, ce qui le flatte davantage et lui permet de poursuivre ses vices confortables et d’entretenir l’espérance d’un changement, mais toutes les révolutions qu’il fera en ce sens ne seront que des prolongements. Et même, à mesurer sa piteuse capacité et ce qu’il risque de falloir pour le retourner, c’est presque si nous sortirions humiliés de le bouleverser ; c’est ainsi par grandeur et pour la conservation de notre supérieure intégrité qu’à tenir compte de sa piètre nature nous renoncerions à le vouloir changer.

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