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Henry War
17 juin 2023

Indécence d'acheter un auteur à sa mort

Il est immoral de se précipiter sur les œuvres d’écrivains tout juste décédés, comme on fait actuellement avec McCarthy : ces hommages sont scabreux parce qu’un renfort de succès vient après le temps où l’auteur pourrait financièrement en profiter. Pour les quelque 10% de droits qu’il contractualise, on pourrait encore espérer qu’il les touchât vraiment, que sa paye dérisoire et indécente tombât au moins dans sa bourse à lui ! Mais un lecteur attend qu’il soit mort pour l’enrichir, et trouve encore que c’est une idée généreuse : toute sa vie l’auteur vit de subsides ignobles, et des admirateurs attendent l’opportunité de son trépas pour lui constituer un triomphe ! Évidemment que cet argent abondant ne peut alors lui revenir, et voilà pourquoi les éditeurs s’empressent de multiplier les tirages : c’est toujours pour eux davantage de recette, ce 10% économisé au prétexte spécieux d’un honorable posthume. Jusqu’alors, c’était au moins du vol sinon de l’esclavage, mais à présent que l’auteur est mort, cela devient une abjection et une profanation à laquelle même le client se déclare l’imbécile complice. Mais il a la conscience sauve : il nourrit l’alme Culture !

Un paysan attend toute sa vie pour vendre sa récolte que sa coopérative exploite à son détriment. Il en a toujours de reste qu’on ne veut pas acheter, et ni ses efforts ni sa vertu ne le récompensent, il est toujours contraint de subsister en-dessous de son mérite. Son produit fait rarement succès, et lorsque par toutes sortes de complaisances et de flagorneries il est parvenu à en vendre en nombre à des crétins de son siècle, il ne reçoit qu’une infime partie de son dû : la coopérative absorbe tout et lui représente que c’est juste, parce que c’est la tradition et qu’on n’en connaît pas d’autre. Un jour, on publie la mort du paysan, et par un prodige de la fantaisie humaine, tout le monde abonde pour acheter sa récolte, s’imaginant réaliser une bonne action : la coopérative dispose de stocks, et elle en profitera pour vendre, mais n’ayant plus à disposition le paysan pour lui reverser le petit argent minable qu’elle lui devrait, elle gardera la somme. À la fin chacun trouvera – acheteur et marchand – que la réputation qu’on fait ainsi à un écrivain est une puissante contribution à la gloire de la littérature, et tout continuera comme avant, sans constituer pour les auteurs un avantage de plus.

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Commentaires
M
Certes, mais il existe aussi pléthore d'auteurs vivants qu'il est indécent d'acheter.
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