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Henry War
28 juin 2023

Méthode générale de la Psychopathologie du Contemporain

On ne peut pas bien lire, c’est-à-dire comprendre avec justesse et profondeur, les articles de Psychopathologie du Contemporain, si l’on ne s’est pas défait de l’idée que cette science chercherait à démontrer quelque chose – une chose en particulier – de nature évaluative, qu’elle n’aspirerait à toute force qu’à instaurer une thèse morale qu’elle aurait postulée, qu’elle partirait d’un axiome critique dont elle feindrait juste de tirer des observations : ce serait abusivement croire en une intention dont elle serait la conséquence forcée à dessein d’étayer faussement un fantôme. Je répète que je ne veux rien démontrer de présupposé. Ce qui fait croire en une telle présomption et qui motive ce reproche chez nombre de détracteurs, c’est que mon analyse se départit de morale, en quoi elle semble destructrice de conventions et de normes utilisées en toutes sciences humaines au cœur d’une société qui n’accepte pas qu’une discipline ne se fonde en premier lieu sur « l’humanisme », raison pourquoi on la dit négative et partiale. Quand on me reproche d’être misanthrope, on n’a pas saisi que ne pas être philanthrope ne revient pas à être misanthrope, on a omis qu’il existe un point de distance où il ne s’agit pas de s’aligner au départ sur une position pro ou ad hominem : mon objet est l’homme contemporain, et je prétends que son examen ne commence pas par l’admission de certaines valeurs qui lui seraient attachées automatiquement ou d’autorité ; je ne suis a priori ni pour ni contre, même si le fait de ne pas être pour est si inhabituel que cela revient pour beaucoup à me positionner contre. Je ne veux que définir l’homme présent sans commencer par le flatter ou lui poser une certaine qualité, en quoi ma science n’est peut-être pas destinée à l’homme tel qu’il est prêt à s’identifier de nos jours et tel qu’il exige que par tradition on le loue d’abord. Tous ceux, même mes défenseurs, qui lisent mes articles avec la pensée d’une hargne contre le Contemporain et s’en réjouissant d’avance comme s’il s’agissait pour moi d’une purgation insalubre ou d’une jubilation cruelle, sont aussi éloignés de ma méthode que ceux qui me reprochent de ne pas concéder d’office la bonté ou la justice à l’homme et de faire de lui un tableau chargé d’outrances : ces défenseurs valent pour moi autant que mes adversaires, parce qu’ils croient pareillement que je me fonde sur un préjugé qui sert une soi-disant étude, une étude truquée, un simulacre d’étude positiviste. Or, rien n’est plus séparé de mon esprit que la prévention, favorable ou défavorable, à l’égard ou à l’encontre de l’homme, et, en dépit de l’impression que je réalise et qui tient surtout de l’inhabitude de lire des études détachées (le détachement ressemble au dégoût en ce qu’il paraît tenir à distance un objet qui déplaît, mais c’est parce qu’on rencontre peu d’individus capables de décrire longtemps une chose sans s’en lier d’affection ou qui, ne goûtant guère cette chose, persistent cependant à en approfondir le portrait), je ne m’apprête jamais à le trouver conforme à une représentation préalable qui pourrait « m’arranger » ; tout au plus, je m’attends à vérifier une certaine cohérence, mais jamais je ne conserve une inférence qui pourrait s’avérer contraire à une observation – j’ai maintes fois relevé non peut-être du bien en l’homme mais l’excuse de ses travers, lui que je n’ai vraiment jamais accusé d’être mal.

Et pour bien entendre l’intéressant génie de cette science, son exigence et sa rigueur, et de façon philologique retracer la généalogie intellectuelle de ses portraits, il ne faut pas chercher comme elle confirme une certaine vision morale qu’on s’était faite antérieurement de l’homme, auquel cas on risque d’être surpris et mécontent en ce que chaque article comporte des nuances qui s’opposent à de telles caricatures et grossièretés, mais comme elle est logiquesagesans préconception, et s’assemble par degrés serrés et indubitables, et se contente d’établir sans faille le réseau progressif des intellections humains sises dans la société caractérisée où nous vivons. Chacun de ses maillons permet de resserrer le précédent et le suivant ; tout se maintient en une cohérence pratique, vérifiable et de plus en plus développée, relevant d’une coïncidence dont on ne peut prouver qu’elle fut préméditée. Je ne réclame pas au lecteur d’être d’emblée de mon avis et de se préparer à me croire et à vivre une espèce de « passion » pour le divertir et abonder sa créance, mais c’est en son plus d’objectivité possible que je lui demande s’il distingue dans la chaîne des reconstitutions raisonnées que je lui propose une seule erreur de cause à effet, un seul vice de forme, une seule inconséquence précise en l’espèce d’une déformation ou d’une omission, qui invaliderait le discernement auquel je prétends des caractères propres à l’homme de notre époque.

Il peut arriver que je me trompe, et notamment que j’oublie quelque chose : je peux bien ne pas avoir tort, mais je répète ici sans mentir, bien qu’en pratique je sois peu confondu de la réalité de cet aveu, que j’aime aussi et même davantage avoir tort, parce que je ne prête au fait d’avoir raison aucune insistance ni aucun orgueil. Et si je tiens à exprimer cet éclaircissement méthodologique maintenant, c’est pour qu’on comprenne que, quand je nourris quelque doute cohérent ou vraisemblable d’une réalité humaine qu’on m’annonce générale ou majoritaire, je demande aussitôt au moins un exemple à titre scientifique c’est-à-dire expérimental, parce que sans ce concret-là le matériau humain est sujet aux spéculations les plus gratuites, théoriques et mensongères ; ainsi est-ce de bonne foi que je demande la relation d’une circonstance vraie qui m’oppose et dont je suis tout prêt à accepter l’irréfragabilité – c’est une partie intégrante de la méthode. Or, j’ai souvent constaté qu’on ne me fournit rien de minutieux et de considérable, sans doute parce qu’on a avancé la possibilité d’un exemple avant d’en avoir un réel à l’esprit et qu’on se trouve embarrassé de mon petit peu d’insistance pour en produire. L’exemple qu’on prétend enfin m’apporter demeure une variété de généralité ou de théorie, de sorte qu’on refuse de me communiquer un moment, une personne et une circonstance, et je suis obligeamment contraint d’extrapoler à partir des bribes si maigres et infertiles qu’on me donne.

Qu’advient-il alors ? Il advient qu’avec opportunisme on prend mes extrapolations pour la preuve que je cherche à asseoir une thèse préalable parce qu’en effet j’ai tâché de faire parler le peu qu’on m’a offert dans un certain sens, quoique selon moi plutôt dans le sens de la logique que de mon « souhait » (à me lire davantage on verrait combien j’ai même tendance à prendre le parti de mon contradicteur), et l’on estime que mon propos indique ma partialité principielle et que je veux à tout prix rabattre la teneur de l’exemple à mon envie de l’interpréter à ma guise, au point qu’en quelque sorte « j’invente » l’exemple même. Mais je clame que je n’escompte pas installer de postulation, et c’est humblement que je demande aussitôt, si je me suis trompé, qu’on m’explique cet exemple dont je ne détiens que des fragments vagues et incomplets ; alors, comme il m’est impossible d’en obtenir plus, mon adversaire, qui préfère se vexer et croire que son témoignage servira à m’approprier sa vie et à la publier durement, refusant d’en expliquer les termes, en reste au point où son refus de parler, refus qui m’a forcé d’abstraire peut-être un peu artificiellement la substance de son exemple, lui sert d’argument pour prétendre que je m’en tiens à une thèse ou à une théorie qui me plaît. La conversation s’achève à peu près là, et il croit l’avoir emporté précisément par le défaut de son argumentaire, parce que j’ai eu la courtoisie, pour ne pas me contenter de lui réitérer brutalement l’ordre de développer cet exemple et pour ne pas avoir l’air d’exiger de lui ce qui peut être du ressort de l’intime et susceptible d’attenter à la pudeur de qui je le réclame, d’expliciter à l’excès la situation qu’il avait à peine évoquée : il devrait plutôt s’admettre défait de ne pas avoir satisfait à donner l’exemple annoncé, mais il retourne sa lacune en rhétorique et me reproche d’essayer de donner du sens, un sens exagéré, au peu de situation qu’il m’a présentée – assurément, si j’avais insisté il m’aurait accusé d’être indiscret, ainsi ne se serait-il pas moins tiré d’affaire. C’est toujours, en somme, l’accusation récurrente de vouloir d’avance démontrer une certaine chose : or, si je prouve ce qu’on ne veut pas prouver, on peut m’arguer un contre-exemple précis que peut-être je réussirai à renverser et l’on dira alors que je m’obstine, mais si l’on ne veut pas prendre ce risque d’être réfuté, on peut prétendre qu’il existe quantité de contre-exemples qu’on ne veut pas précisément produire, et l’on dira ensuite, faute d’avoir suffisamment indiqué l’exemple, que j’extrapole et exagère. Dans les deux cas, on me taxe de préjugé et d’opiniâtreté !

J’écris ceci pour signifier comment ce malentendu se présente et combien il est fondé de fausseté et de mauvaise foi.

Car je ne veux pas que ma Psychopathologie du Contemporain instruise par principe la thèse de la défectuosité humaine : ce n’est pas du tout son objet, et cet objet desservirait même sa méthode. Ce serait mal me lire (beaucoup se contentent de cette idée, y compris mes fidèles) que d’estimer que ces articles sont inaccessibles à ceux qui aiment l’humanité au prétexte qu’ils ne s’adresseraient qu’aux persuadés de sa turpitude : chaque fois qu’on le croit, on est forcé de négliger quantité d’objections où par exemple je n’admets jamais la méchanceté des hommes, ni leur cruauté, ni leur totale stupidité – il n’est pas rare que ceux qui m’objectent trouvent que j’ai été ici et là trop « gentil », comme avec les hommes politiques (mais l’homme politique n’est qu’une variété d’homme contemporain), et parfois on s’est emporté contre des vérités que j’ai écrites sur les femmes sans voir que je n’en disais pas moins des hommes tant on était enferré dans la pensée que pour écrire ceci il fallait que je fusse partial donc misogyne. Quand je cherche le mobile d’une action répandue que je crois symptomatique de la vie actuelle, je n’essaie pas de m’imaginer ce que j’aurais fait à la place du Contemporain si j’avais été, moi, dans sa situation, je veux dire que je ne me sers même pas du prisme de ce que je suis et de ce que je pense pour inférer ses idées comme si je me comparais à lui à titre d’évaluation morale, justement parce qu’il est autre, ou plutôt parce que je suis autre : je ne me mélange pas à lui, ne pars pas d’une relation de moi à lui et donc d’une idée en moi préétablie que je lui appliquerais ; seulement, je tâche à reconstituer en pure logique ce qu’un homme de notre époque tel que je le connais ou estime le connaître – tel qu’il est en-dehors de moi – pense et fait selon l’ordre vraisemblable des actions normales, et je ne tais jamais les développements soigneux, exposés et en ceci consultables et objectivés, qui me le font déduire ainsi. C’est ainsi qu’il faut lire par exemple la façon dont j’ai décrit pourquoi les gens rechargent compulsivement leur voiture en période de pénurie de carburant, et pas du tout comme le fruit du désir de réaliser un pamphlet contre ceux qui, par exemple, « auraient le toupet sordide de viderma station d’essence ».

Je précise en définitive que généralement le Contemporain ne m’est d’aucun préjudice, que je ne me sens le plus souvent nulle raison de lui en vouloir, que pour tout dire il ne me fait même pas grand-chose : je passe à côté de lui chaque jour et vis parmi lui sans qu’il m’atteigne beaucoup ni ne me blesse, je ne lui en veux guère de ce qu’il est, même si je l’estime en-dessous de sa valeur, ce qui peut s’entendre comme un compliment pour ce que je lui admets ainsi un bon potentiel, et c’est pourquoi je l’examine avec autant d’objectivité : je ne dépens de lui ni pour mon bonheur ni pour mon malheur, ni pour quoi que ce soit qui touche fort à mon anxiété ou à ma tranquillité. J’écris même quantité d’articles et de fictions où je n’ai pas à me servir de lui, où ses vices ne me sont d’aucune nécessité, où le portrait que je dresse de sa personne ne m’est indispensable ni pour l’art ni pour la gloire, où la confirmation forcenée de mes études ne m’importe nullement en vertu de quelque « honneur professionnel » : ainsi n’ai-je pas la rage d’avoir raison. Seulement, il est arrivé, un jour – le fait est simple –, au commencement de ma vie d’adulte, qu’au milieu de tant d’inconnus j’eus l’envie de comprendre qui étaient ceux qui ne me comprenaient point. Et alors, je me suis mis à écrire sur eux, pour mémoire : rien d’autre.

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