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Henry War
12 février 2022

Superdocteurs de vanité

Il faut dix ans d’études au Contemporain pour devenir médecin généraliste, et, par cette durée, c’est en toute vanité que nos écoles de médecine alimentent ou prolongent la pénurie de notre société en personnel de santé. Mais c’est indispensable, paraît-il, parce que c’est grâce à la somme de savoirs acquis durant cette décennie qu’un généraliste vous prescrit du Maxilase quand vous avez mal à la gorge puis un antibiotique à la seconde visite, qu’il prend votre tension quand vous êtes fatigué et renouvelle votre prescription de pilule après vous avoir pesée, et qu’il sait diagnostiquer angine rouge, grippe saisonnière et gastro-entérite avec une relative certitude. Pour ce qui dépasse les cas courants et facilement identifiables, nul besoin pour lui d’y regarder, car des spécialistes le feront bien mieux, ce qu’il sait fort bien : pour exemple, quand un polype encombra ma narine gauche il y a huit ans, mon généraliste, peut-être dégoûté ou seulement pressé, n’y aventura même pas un appareil pour la curiosité, il s’assit simplement à sa table et, par un papier illisible, me recommanda à l’un de ses confrères Oto-Rhino-Laryngologiste.

De l’aveu même des docteurs – j’ai vérifié, et il sont officieusement d’accord –, il n’est point nécessaire de perdre tant de temps pour identifier en série les dix pathologies récurrentes qui abondent les cabinets de consultation générale : vous y deviendriez vous-même compétent rien qu’avec un stage d’observation (vous découvririez alors combien votre docteur fait toujours à peu près la même chose) : cinq ans d’étude suffiraient à tenir le rôle des généralistes, à savoir repérer les maladies communes ou bien expédier le patient chez un confrère spécialiste, et eux-mêmes avouent ne pas se servir de la plupart de ce qu’ils ont appris de théorique et qui demeure sans rapport avec leur pratique normale.

Semblablement, bien des spécialités pouvant exiger jusqu’à plus de quinze ans d’école sont absolument sans lien avec le contenu des cours que les étudiants ont reçus : je crois que si l’on comprend qu’un oncologue a besoin de connaissances étendues, les tumeurs malignes étant variées et ayant des conséquences sur toutes sortes d’organes, il n’est pas d’une nette évidence qu’un ophtalmologiste ait suivi maintes leçons sur les anomalies du cœur, le système digestif ou la biochimie cellulaire : à croire qu’on le fait patienter pour l’unique prestige de lui cumuler un bac +14 et trouver une raison de le payer si cher – au même titre, M. Sarkozy jugea à propos d’augmenter la durée de formation des instituteurs pour prétexte à augmenter leur salaire. Bien entendu, comme chez nous on se fait une idée surestimée d’un docteur, on prétendra qu’en telle circonstance oculaire pouvant occasionner tachycardie ou dyspepsie, ces leçons sont utiles et que je ne suis qu’un vindicatif béotien, mais c’est ignorer (« feindre d’ignorer » serait plus juste) que pour évoquer telle occurrence spécifique vous avez cherché sur Internet quelque cas assez exceptionnel que même un ophtalmologiste ignore – je connais le genre d’objection que prépare derrière son écran le praticien vexé par ce genre de franc exposé, par exemple : « Mais vous n’y connaissez rien ! Vous sauriez autrement combien l’étude précise du plasma est indispensable à l’ophtalmologie ! », et j’y réponds d’avance en arguant qu’il ait suffi que quelques praticiens excellents m’aient affirmé l’inverse pour que je les croie, eux, car enfin, il est commun pour de  certains amours-propres de se vanter quand on semble les attaquer sur leurs compétences, et il m’est souvent arrivé que, sans me faire connaître pour professeur de lettres auprès de collègues, beaucoup m’ont prétendu que les connaissances du grec ancien, du latin et de l’ancien français sont primordiales pour transmettre correctement, ce que je sais tout à fait faux, n’étant guère soucieux de me faire passer pour plus savant que je ne suis. Presque toute la médecine est une illusion de compétence, comme presque toute profession est une illusion telle ; c’est surtout par tradition et pour se rassurer d’être bien entouré qu’on se figure que ces gens sont véritablement supérieurs : on aurait pu de la même manière obliger des professeurs de collège, avant la routine qui les attend d’enseigner l’accord du participe passé et l’énième Molière que tout le monde fait lire, à connaître avec précision les maladies mentales influant la cognition, le comportement animal en particulier des mammifères adolescents, plus les spécialités variées de l’orthophonie et de la pédiatrie, soit de bénéficier d’un bac+12 avant de dispenser son premier cours en classe de sixième Jaune : c’est identiquement qu’on remplirait leur tête d’un fatras vite oublié qui, en théorie, quoique en fait très rarement, peut être utile à son métier, mais qu’il ne réinvestit jamais dans la réalité, bagage qui gonflerait l’estime que la société lui voue tout en alimentant le mal qu’on a quelquefois à trouver des professeurs.

Je ne comprends pas qu’aucune réforme n’ait porté depuis des décennies sur le contenu des enseignements de médecine, à l’exception de modules supplémentaires et assez stupidement humiliants destinés à « favoriser l’empathie » ; je n’entends même pas que des « élites » aient estimé qu’on devait devenir médecin non en fonction d’une compétence absolue comme partout ailleurs, mais selon une place relative, un pourcentage, qu’on appelle numerus clausus. Je refuse de médire – et l’on voit qu’après avoir parlé de ma profession, je m’inclus aussi en une certaine part dans une réforme contre l’inutile –, mais un anesthésiste de nos jours a suivi au moins onze années d’étude pour ne faire environ que de la posologie et appliquer des barèmes, et, si l’on veut encore prétendre que tout acte médical suppose une connaissance approfondie parce qu’il implique de grandes responsabilités, qu’on m’explique pourquoi un chirurgien-dentiste, qui est bien spécialiste des chairs, des os et du sang qu’on appelle stomatologue et dont les soins sont en rapport avec de nombreux organes, se contente d’une seule année de médecine générale juste avant de se spécialiser dans sa discipline, de sorte qu’il exercera en cabinet, s’il veut, à bac +6 seulement !

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